Les webzines musicaux, une affaire de passionnés

Successeurs des fanzines d’antan, les webzines musicaux belges donnent à leurs auteurs l’opportunité d’aiguiser leur plume, d’informer, de partager leurs passions ou de fédérer une communauté. Mais comment fonctionnent-ils dans des paysages médiatiques et musicaux en mutation?

Le monde de la musique, très vivace et diversifié, apporte un contenu presque illimité aux médias. À côté des canaux dits traditionnels -presse quotidienne et périodique, radio, télé-, on retrouve une galaxie de webzines. Agenda des concerts, critiques des dernières sorties ou encore des dossiers sur un genre ou un artiste en particulier, ces sites peuvent se focaliser sur l’actualité de l’industrie musicale comme sur des sujets plus globaux, moins liés à la nouveauté. Les formats sont également très divers. Les publics sont aussi variés que les lignes éditoriales, et si certains sites comme Goûte Mes Disques, MusicZine ou BeCult sont plus généralistes, d’autres comme Shoot Me Again se focalisent sur l’underground, l’alternatif. Metal’Art, comme son nom l’indique, se spécialise, lui, dans le metal et ses nombreux sous-genres. Des niches parfois très spécifiques qui permettent de fédérer une communauté de lecteurs fidèles, et de suppléer au travail des plus gros médias dits traditionnels, surtout dans des genres plus alternatifs  : « Les médias traditionnels accordent de moins en moins de place à la culture… Je déteste le terme d’industrie musicale, ça donne un côté très commercial à la musique où la communication ne se fait que pour les plus gros artistes. Ce n’est pas toujours facile d’entendre parler des petits groupes émergents », nous explique Hélène Many, fondatrice de BeCult. « On a tellement martelé l’aspect radiophonique des chansons qu’on n’ose plus diffuser des morceaux sans paroles ou qui durent plus de 3-4 minutes. Or, le boulot des médias, c’est aussi d’éduquer, d’informer sur ce qu’il se fait. Il faut pousser cette diversité! »

Un constat sévère, qui ne doit pas occulter les quelques initiatives mises en place au sein des médias nationaux pour parler de genres ou d’artistes plus obscurs. Classic 21 et sa « Generation 21 » proposent chaque semaine de découvrir un artiste belge émergent. Les radios numériques de la RTBF Jam et Tarmac, d’abord exclusivement en ligne et depuis quelques mois accessibles via la DAB+, se spécialisent dans des genres musicaux qui ne trouvaient plus leur place dans des radios plus généralistes. Les radios Stubru propose des playlists très éclectiques, où l’on retrouve aussi de la musique électronique ou du metal par exemple. Les magazines défricheurs, comme Les Inrocks ou Trax (et aussi Focus Vif), survivent dans un contexte de presse papier que l’on dit en crise. Mais, outre des lignes éditoriales parfois plus généralistes, une industrie musicale en pleine mutation dont l’offre est de plus en plus pléthorique de jour en jour ne permet pas aux médias de parler de tout le monde. Les contraintes de temps ou d’espace disponible rendent l’exhaustivité impossible. Et ça s’applique aussi aux webzines!

Qu’est-ce qui anime alors les webzines? Certainement le fait d’être rédigé par des passionnés, pour des passionnés. Leur ligne éditoriale parfois restreinte dans une niche très précise (comme pour Music Maker Report, spécialisé dans le matériel musical) et tantôt très englobante (comme pour BeCult ou La Vague Parallèle) offre la place à ces amateurs de s’exprimer sur des sujets qui leur plaise.

Les live reports, points forts de certains webzines. – © BeCult

Souvent bénévoles, ils se pensent en véritables curateurs. Leur pratique s’approche des méthodes et des valeurs employées dans le journalisme plus classique: « On est des « amateurs-professionnels » », déclare Jeff Lemaire, fondateur de Goûte Mes Disques« Ce n’est pas notre métier, on n’a pas la carte de presse… Mais on reste pro, même en écrivant sur ce que l’on veut »! On vient avec ce que l’on veut en matière de choix de sujets, mais on demande une rigueur journalistique, comme une bonne orthographe ou la vérification des informations. » Il en va de même pour les genres usités: le live report n’est jamais plus qu’un compte-rendu de festival ou de concert. La critique d’album reprend les codes du journalisme culturel classique. Le ton employé est très variable, et dépend autant de l’auteur d’un article que de la ligne éditoriale du webzine. Elle est souvent gratinée d’humour et de références parfois très précises, permises dans le cadre d’un dialogue de passionnés vers d’autres passionnés. Avec moins d’impératifs de publication, les critiques peuvent aussi se montrer plus longues que dans les pages d’un magazine imprimé.

Pour trouver la matière, l’essentiel est encore de se montrer curieux : « Nous n’avons pas les mêmes canaux d’informations que la RTBF ou Le Soir par exemple, mais on est aussi plus atteignables! », affirme Hélène Many. « On reçoit un peu de services de presse de certains labels, mais ce sont surtout les artistes qui viennent nous voir pour leur promotion. On a un contact plus direct avec eux. » Les plateformes de streaming représentent un terrain de chasse excellent, mais très vaste. D’autres sites, comme Soundcloud ou Bandcamp, permettent de prendre le pouls des artistes émergents ou méconnus. Les premières parties de concert représentent aussi de potentiels sujets intéressants. Enfin, il reste aussi le bon vieux bouche-à-oreille, aidé par un microcosme musical belge où pratiquement tout le monde se connaît.

Les maîtres-mots guidant cette curation sont « underground » et « passion », les choix des rédacteurs se portant le plus souvent sur des artistes de l’ombre, dont la musique mérite un coup de projecteur. C’est le crédo de beaucoup de webzines, y compris Shoot Me Again: « Il y a tellement de disques qui sortent que l’on ne peut pas parler de tout. On a la chance de pouvoir choisir ce dont on a envie de parler! On peut faire le tri, selon ce qui nous intéresse ou non. On gravite plus volontiers vers les sorties dont on a envie de parler de manière positive. On n’a pas d’impératifs d’actualité non plus, donc on peut simplement s’exprimer sur ce qui nous plaît. »

Money Talks

Dans les grandes lignes, un webzine présente une foule d’avantages pour leurs animateurs et auteurs par rapport au format papier, aux radios disponibles via les ondes ou encore les chaînes de télé, comme des coûts moins importants, un rythme de publication moins contraignant ou encore une diffusion potentiellement illimitée. Une aubaine pour les amateurs, désormais capables de monter leur propre webzine sur n’importe quelle thématique suscitant leur intérêt.

Si les webzines spécialisés sont plus faciles à lancer que les fanzines papier d’il y a 20 ou 30 ans, cela reste sur le terrain une activité très rarement lucrative. Les coûts sont très variables: dans le cas de Shoot Me Again, le webzine doit surtout payer pour maintenir l’hébergement du site en ligne. Une dépense plutôt modeste, répartie entre les différents membres de l’équipe chaque année. Mais lorsque les webzines veulent diversifier leurs formats, cela engendre souvent des investissements supplémentaires. Pour un livestream, ça demande de l’argent qu’Hélène Many paye de sa poche. Pour réaliser des live reports, il faut parfois emprunter du matériel (caméra, appareil photo…): caméra comme appareil photo. Goûte Mes Disques a lancé son podcast et là aussi, cela représente de l’argent pour investir dans de bons micros. Jeff Lemaire rappelle que mis à part l’hébergement du site ou le matériel, divers outils allant de l’utile au nécessaire coûtent aussi de l’argent: « Il y a l’abonnement aux différentes plateformes de streaming comme Soundcloud ou Spotify. On utilise Dropbox pour le stockage et le partage. Il nous faut aussi un programme synchronisant nos playlists sur toutes les plateformes disponibles, ou encore des outils pour héberger notre podcast quelque part. On utilise même un logiciel de correction orthographique! »

Un système économique basé sur les fonds propres qui rend le développement d’un webzine plus compliqué à soutenir. Certaines solutions existent, mais elles semblent souvent insuffisantes ou difficiles à mettre en place. Les modèles économiques relèvent presque du cas par cas, mais nous pouvons les résumer en trois catégories principales: la publicité, les subsides, les dons… auxquelles s’ajoutent des initiatives plus sporadiques.

Les sponsors représentent une option délicate, et les avis divergent. MusicZine affiche clairement ses partenariats avec le Botanique, l’Ancienne Belgique ou le Magasin 4. Metal’Art est partenaire avec le Durbuy Rock et le Belvédère de Namur. Et presque tous peuvent bénéficier d’accréditations pour couvrir les concerts, ou d’envois privilégiés de la part des labels. La notion d’indépendance, surtout en rapport avec l’usage de publicité, diffère selon les webzines: « On a toujours refusé la publicité, surtout des labels… Comment critiquer le disque d’un label l’esprit tranquille alors qu’ils nous sponsorisent? », affirme Fred de Shoot Me Again. « La publicité se paye parfois cher selon les conditions imposées. Si on finit par perdre de l’argent plutôt que d’en gagner, à quoi bon », renchérit Jeff Lemaire. « On veut apporter quelque chose de différent, rester dans la découverte. La musique doit se vivre, pas devenir un matraquage publicitaire », exprime Hélène Many.

La subside peut potentiellement se justifier et soutenir ces médias. Mais elles ne s’obtiennent pas facilement, surtout auprès d’équipes bénévoles sacrifiant déjà beaucoup de leur temps libre: « On a demandé une seule fois des subsides en 15 ans pour pouvoir acheter du matériel pour le podcast, mais ça ne suffit pas », rétorque Goûte Mes Disques. Ce dernier est une ASBL -condition souvent indispensable pour l’obtention d’un subside-, ce qui n’est pas le cas de BeCult: « L’avantage de ce statut, ce sont les subsides. Mais il faut remplir certaines conditions, comme des entrées et sorties d’argent, donc aussi des gens qui font du démarchage ou tiennent les comptes. Nous n’avons tout simplement pas le temps de faire ça alors qu’on doit parfois rendre son article après le boulot, ou bien relire un texte malgré la fatigue! » Du côté de Shoot Me Again en revanche, on reconnait une certaine stabilité une fois que le webzine est passé sous le statut d’ASBL: « On a pu bénéficier de quelques aides, et puisqu’on parle principalement d’artistes underground, ça aide à combler les risques! »

Dans l’univers médiatique musical, chaque webzine tente de se démarquer par un ton décalé tout en creusant son sujet. – © Goûte mes disques

Il reste encore le recours aux dons, une alternative rare où les webzines bénévoles se montrent encore frileux. Seul Goûte Mes Disques a ouvert un discret compte Tipeee, une plateforme de financement participatif qui devrait permettre d’assurer la pérennité du média. Une option intéressante pour toucher les lecteurs les plus assidus. Mais qui se révèle souvent insuffisante par la nature même du format: « On a lancé le Tipeee il y a deux ou trois ans. On estimait l’avoir mérité après douze ans de bons et loyaux services entièrement gratuits! Cela nous offre un peu d’argent chaque mois, mais c’est compliqué de convaincre les gens de donner leur argent quand ils sont habitués à la gratuité… Et je ne parle pas seulement de notre site? Mais d’internet en général.« 

Reste alors quelques autres tentatives plus éparses. Shoot Me Again a organisé des concerts par le passé, mais de l’aveu personnel d’un de ses animateurs: « Ce n’était pas spécialement du financement… On prend plus de risques que de gains avec notre ligne éditoriale focalisée sur l’underground. C’était plus par plaisir! » Même son de cloche du côté de Goûte Mes Disques, dont le blind test annuel est presque devenu un rituel. Eux aussi organisent de temps à autre des concerts, mais confirment que « ça coûte de l’argent plus que ça en rapporte« . Les plus grands fans du webzine pourront alors se rabattre sur leur boutique, comportant des briquets ou des pulls estampillés du logo du site…

S’il faut souvent composer avec les moyens du bord, cet aspect « bricole » fait un peu partie du charme, et traduit une émotion sincère, une envie de partage: « La particularité des fanzines au départ (puis des webzines), c’est quelque chose de fait par des amateurs de musique, de cinéma ou autre…et pas forcément des pros du milieu du journalisme ou de la com. Donc on n’a pas forcément un plan de carrière, mais plutôt une envie de partage! », nous explique Fred de Shoot Me Again.

Music Non Stop

C’est peut-être l’élément transversal de ces différents médias : le fait d’être rédigé par des passionnés, pour des passionnés. Leur ligne éditoriale parfois restreinte dans une niche très précise (comme pour Music Maker Report, spécialisé dans le matériel musical) et tantôt très englobante (comme pour BeCult ou La Vague Parallèle) offre la place à ces amateurs de s’exprimer sur des sujets qui leur plaise. Il est même impossible, compte tenu de la diversité et du rythme de sortie grandissant, de pouvoir tout aborder. C’est donc la passion qui va guider autant les choix de sujets que l’envie de poursuivre l’aventure.

Leur rôle de curation est également susceptible d’attirer l’attention de l’industrie, surtout lorsqu’elle ne peut pas trouver sa place au sein des pages des grands médias, parfois trop généralistes ou plus « mainstream ». Cela concerne les artistes eux-mêmes, mais aussi les labels, notamment indépendants. Nacho Santamaria de Time Room Records, basé à Charleroi, évoque tout l’intérêt des webzines pour un jeune label officiant dans un genre de niche: « Mon style, c’est du garage-psyché! Donc ça fonctionne mieux avec les webzines ou en tout cas les médias indépendants. J’ai testé les gros médias aussi, mais je n’ai pas eu de réponse… Est-ce qu’ils ne sont pas intéressés? Est-ce qu’on n’est pas encore assez connus? Mystère ! Mais on a eu quelques lignes dans plusieurs webzines, où ça fonctionne beaucoup au coup de cœur. Ils n’ont pas toujours beaucoup de likes, mais leur communauté est passionnée, attentive et fidèle. Ils retournent régulièrement voir les avis sur les dernières sorties. Je pense que ces gens ont une certaine expertise, et si tu kiffes ce que le rédacteur kiffe… Il pourra te faire découvrir plein d’autres trucs susceptibles de te plaire! »

Le label Luik Music incorpore aussi les webzines dans sa stratégie de communication, sans délaisser les médias classiques pour autant: « Goûte Mes Disques ou La Vague Parallèle sont bénévoles, mais aussi très influents ! Ils ont peut-être aussi un public différent de celui qui lit la presse généraliste », explique Juliette Demanet, l’une des deux têtes pensantes du label. « C’est aussi pertinent d’être sur le site d’un média plus pointu, alors qu’être validé par Le Soir aura un impact potentiellement moins fort. On risque d’être noyé par le reste. Mais ce n’est pas de la faute des journalistes! En tout cas, on regarde vers tout le monde. Plus le carnet d’adresse s’étend, mieux c’est. Notre stratégie dépend aussi de notre promo: un webzine parlera peut-être plus volontiers d’un clip, là où la presse généraliste préférera plutôt une critique par exemple. »

Chez Jaune Orange, voisins de Luik Music, on estime aussi que toute publicité est bonne à prendre. Et elle se fait différemment selon le média retenu, comme nous l’explique Sebastien Von Landau: « On est en contact privilégié avec la presse, mais ça se fait différemment pour chaque projet. Pour chaque disque, on emploi un attaché de presse différent, avec ses propres contacts. Mais puisqu’on bénéficie d’une certaine renommée auprès des professionnels, on connaît du monde aussi… La Wallonie n’est pas très grande ! Avec notre ancrage local, on va plus volontiers vers les quelques prescripteurs musique de ce petit monde. On ne peut pas renier les médias avec une étiquette plus mainstream, parce qu’ils ont tout de même un lectorat important, qui sera intéressé ou non par nos productions. Et on cherchera aussi des blogs ou des webzines indépendants, même s’ils ont que 500 lecteurs par mois. 500 c’est peu, mais ce sont peut-être des fans acharnés d’un genre, qui vont lire tout ce qui se dit sur leur musique préférée. Donc on ne peut sous-estimer aucun canal possible. »

Enfin, cette reconnaissance passe aussi par les accréditations, véritables sésames permettant d’assister à un concert ou un festival gratuitement… moyennant toutefois quelques lignes sur le site web dans les jours qui suivent. « C’est notre deal » précise Hélène Many de BeCult. « Si on nous propose une accréditation, en échange on doit absolument parler du concert. Mais nous ne sommes pas partenaires avec l’Ancienne Belgique ou le Botanique! On ne pourrait pas forcément les critiquer si c’était le cas »! Parfois on nous propose les accréditations, ou bien je les demande, si un membre de l’équipe veut absolument voir un groupe par exemple. On se réserve le droit d’être négatifs en tout cas, même si je ne suis pas partisane du fait de casser pour le plaisir, de faire de la mauvaise pub… Donc j’ai tendance à privilégier le qualitatif, ce que l’on aime, pour mettre en avant ce qui nous parle. C’est un tri naturel en fonction de nos goûts.« 

« Si la musique nous est si chère, c’est qu’elle est la parole la plus profonde de l’âme, le cri harmonieux de sa joie et de sa douleur », disait l’écrivain Romain Rolland. Que le webzine soit journalisme citoyen ou affaire de simple passion dévorante n’a pas d’importance. Le travail des quelques webzines belges demeure rafraîchissant à l’heure où l’industrie musicale nous gratifie chaque semaine, chaque jour, de nouveautés disparaissant dans les limbes d’internet. Par amour de la musique, pour la musique.

Quelques webzines à suivre

En plus de BeCult, Goûte Mes Disques et Shoot Me Again, d’autres webzines belges pourraient épancher votre soif de découvertes musicales. En voici une courte sélection:

MusicZine: l’un des plus anciens webzines musicaux de Belgique, et le seul à être bilingue. Il se spécialise dans le rock, plus particulièrement indé.

Metal’Art : seul webzine belge francophone dédié uniquement au metal et ses nombreux sous-genres, il propose des actualités régulières en plus d’un magazine sortant tous les deux mois

Music Maker Report : davantage dédié aux musiciens et techniciens du son, il s’agit du seul webzine belge francophone consacré au matériel musical, et l’un des rares à sortir à un rythme trimestriel

MusicinBelgium : comme son nom l’indique, le webzine traite principalement des artistes belges ! Avec un focus sur le rock, folk, blues et metal.

La Vague Parallèle : possédant l’une des lignes éditoriales les plus larges, ils abordent presque tous les styles, avec une préférence pour l’indie rock, la pop, la folk et l’électro.

Un dossier réalisé par Jérémy Kuprowski


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