Laurent Raphaël
Les scénaristes bientôt remplacés par l’IA? (édito)
Les scénaristes sont en grève à Hollywood. A terme, les studios pourraient manquer de séries et de films. A moins qu’ils ne fassent appel à l’intelligence artificielle pour les approvisionner en histoires originales. Ou quand la réalité dépasse la science-fiction…
Cela ferait un bon scénario de film d’anticipation: dans un avenir proche, une grève paralyse le métro d’une mégalopole. Persuadés d’obtenir gain de cause à l’usure, les syndicats ne lâchent rien. Sauf que la direction de la compagnie négocie en secret depuis quelques mois avec une start-up de la Silicon Valley qui a développé un programme dopé à l’intelligence artificielle capable de piloter un réseau de transport sans intervention humaine. Un mois à peine après le début du mouvement, les premières rames se remettent à rouler… sans conducteurs.
Science-fiction? Oui et non. À Copenhague, le rail urbain est déjà entièrement automatisé. Efficacité et ponctualité à toute épreuve. Mais on a un petit pincement au cœur chaque fois qu’on monte dans un wagon en pensant à tous ces pilotes qui ont perdu leur job du jour au lendemain. Une belle et cruelle allégorie de l’évolution du monde du travail: du duo wattman- poinçonneur qui régnait à bord des tramways d’antan et qu’on peut encore apercevoir dans les films de Claude Autant-Lara ou de Julien Duvivier, on est passé à un chauffeur multitâche. Puis, de nos jours, à un fantôme numérique.
Économiquement, l’équation est imparable. Et philosophiquement, la conscience collective -à l’exception des premiers concernés, qui vivent évidemment un drame social- peut s’en accommoder tant que ce sont des tâches répétitives qui sont menacées ou sacrifiées. On a tous en effet intégré l’idée que le progrès est par nature bon pour l’humanité. D’ailleurs, l’hommage au poinçonneur de Gainsbourg ne parlait-il pas déjà de la monotonie d’un préposé au compostage des billets? Autant qu’un robot ou une IA fasse le boulot ingrat. Mais ce serait un leurre ou faire preuve d’une coupable naïveté de penser que les métiers plus nobles ou plus créatifs sont à l’abri.
La crise des scénaristes à Hollywood, qui n’est pas sans rappeler le pitch évoqué plus haut, avec les auteurs dans le rôle des conducteurs, vient illustrer les craintes légitimes de voir prochainement ChatGPT et autres Bing griller la politesse à l’intelligence humaine. Pour rappel, depuis début mai, les 11 500 membres de la puissante guilde des scénaristes, qui alimentent en bonnes histoires toute l’industrie audio-visuelle américaine, des télés aux plateformes de streaming, ont déposé la plume suite au refus des studios de revaloriser leurs salaires. Une fin de non-recevoir insupportable pour cette profession qui est un rouage essentiel de la machine à rêves mais qui souffre d’un manque chronique de reconnaissance (hausse du salaire moyen de 4% alors que les bénéfices des majors ont grimpé de… 39%). Pour répondre à la demande toujours croissante de nouvelles productions, ces fines gâchettes de l’écriture sont même soumises à des cadences de plus en plus infernales et sommées de reproduire des recettes qui laissent très peu de marge à la créativité pure. Tout qui regarde régulièrement les séries sur Netflix a déjà éprouvé cette sensation désagréable qu’on lui ressert toujours plus ou moins le même plat…
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Les premiers à pâtir du bras de fer sont les Late Shows, dont les scripts s’écrivent quasi en direct. Pour les films et les séries, les effets se feront éventuellement sentir plus tard, quand les productions actuellement en cours auront été diffusées. Tout dépendra en fait de la durée du conflit -le précédent, en 2007, avait franchi le cap des 100 jours. A moins qu’un élément extérieur ne vienne complètement changer la donne. Certains patrons songeraient sérieusement à faire appel à l’IA pour compenser la pénurie de scénarios, avant probablement une généralisation. Et tant pis si la qualité n’est pas tout de suite au rendez-vous. Mieux vaut une série imparfaite que pas de série du tout. Une ligne rouge pour le syndicat, qui exige faute de mieux des garde-fous -pour éviter que les robots, donc les producteurs, raflent des droits d’auteur. Une concession qui a déjà un petit goût de défaite. C’est comme si des moutons acceptaient une colocation avec le loup en espérant l’amadouer… Le producteur Todd Lieberman pronostique un film écrit par l’IA dans les trois prochaines années. À quand la première Palme d’or pour un film écrit et réalisé -tant qu’à faire- par ChatGPT 6?
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