Les Rolling Stones, fidèles à leur mythe
Lundi soir, au Stade Roi Baudouin, le « plus grand groupe de rock du monde » a joué pour Charlie Watts, enchaînant ses plus grands classiques, encore et toujours comme si le temps n’avait aucune prise sur eux.
Devant le stade Roi Baudouin, on croise Claude Gassian. Le célèbre photographe français a shooté les plus grands, de David Bowie à Marianne Faithfull en passant par Joe Strummer. Et évidemment les Stones, qu’il a suivi de près. « J’ai dû les voir plus d’une centaine de fois. » Il se souvient très bien de la première. « J’avais 16 ans. C’était à l’Olympia, en 1967… »
Plus d’un demi-siècle plus tard, les Stones roulent toujours. La question à ce stade-ci n’étant plus de savoir pourquoi le « plus grand groupe de rock du monde » reprend une nouvelle fois la route – que pourraient-ils faire d’autre ? – mais comment. Car cette nouvelle tournée n’est pas tout à fait comme les autres. A commencer par le fait que Charlie Watts, décédé l’an dernier, n’est plus derrière la batterie : soixante ans après son arrivée au sein du groupe, les Stones ont dû démarrer pour la première fois sans celui qui a souvent servi non seulement de métronome, mais aussi de boussole. Au Stade Roi Baudouin, comme sur toutes les autres dates, le concert démarre ainsi par des images du batteur maximo. A sa place, on trouve désormais Steve Jordan, un fidèle. À 65 ans, il est le jeunot de la bande, au milieu de Ron Wood (75), Keith Richards (78), et Mick Jagger (79, dans 15 jours). On sait depuis un moment que le temps est de leur côté, mais tout de même : comment éprouve-t-on l’utopie rock (et tout le cirque qui va avec) à un moment de la vie où, sans vouloir faire de l’âgisme, il serait naturel de lever le pied ? A vrai dire, avec ce Sixty Tour, les Stones sont le premier groupe à l’expérimenter…
Sur le coup de 20h45, Street Fighting Man ouvre le débat aussi vite qu’il le conclut. Les Stones ont beau être devenus depuis longtemps un groupe de répertoire, une institution ronronnante, celle-ci n’est toujours pas une formation tout à fait comme les autres. Sur le grand écran, la caméra zoome sur les doigts cagneux de Richards. Ils semblent à peine effleurer les cordes, mais c’est bien de l’électricité pure qui sort des baffles. Bluffant. Au risque de rajouter une couche à une mythologie, qui n’a vraiment plus besoin de ça, les Rolling Stones ont mis au point il y a maintenant plus d’un demi-siècle non pas une recette musicale originale, mais bien un son unique, mélange de récit épique et de roublardise vicelarde. A plusieurs moments, il éclate encore, comme sur 19th Nervous Breakdown ou, un peu plus tard, Bitch, et ses cuivres pétaradants, joué pour la première fois sur cette tournée.
Il faut dire que Mick Jagger, cet Englisman in Brussels est en grande forme. Après avoir chopé le covid (et dû annuler une série de dates), le chanteur superstar a retrouvé manifestement toutes ses sensations, la voix aussi souple que ses célèbres mouvement de bassin. Charmeur aussi, il alterne français et néerlandais, détaille son week-end bruxellois – « nous sommes allés dans les Mawwwolles, nous avons bu des Duvel et mangé au moins 6 gaufres ». Et quand il présente ses camarades, il s’amuse à introduire par exemple le « Magritte de la guitare » (Ron Wood) ou le « Lukaku du saxophone » (Tim Ries). En fait, même Keith Richards s’est mis à l’heure belge : à son pantalon, le vieux pirate a accroché une cravate jaune à l’effigie du Capitaine Haddock… C’est leur 14e show à Bruxelles, assure Mick, mais visiblement c’est presque comme si c’était toujours le premier.
Et c’est sans doute cela qui impressionne le plus. On a eu beau chercher, on n’a toujours repéré aucune trace de lassitude chez ces dinosaures. Faut voir Richards et Wood, assis devant la batterie de Jordan, se marrer, goguenards, pendant que Jagger s’agite sur Miss You et le solo de basse de Darryl Jones. Bien sûr, comme la musique qu’ils incarnent (et qui a perdu aujourd’hui pas mal de son impact sur la culture), les Stones ne sont plus là pour renverser les meubles. Ils sont devenus les meubles. Malgré cela, quand les premiers accords de You Can’t Always Get What You Want résonnent et s’envolent en écho dans le stade, il se passe encore quelque chose.
La setlist est cousue de fil blanc. Seul Living in a Ghost Town, l’inédit sorti pendant la pandémie, et des images d’immeubles dévastés (en Ukraine ?) diffusées pendant Gimme Shelter, montrent que le groupe n’est pas complètement déconnecté de l’époque. Ah oui, et, par défaut, Brown Sugar aussi, qui, à cause de ses références raciales, devenues borderline ces dernières années, a été retiré de la setlist… Il a été remplacé par Out Of Time, chanson de 1966, que les Stones avaient jusqu’ici toujours laissées de côté.
La dernière ligne droite est imparable : Jumpin Jack Flash, suivi, en rappel, de Sympathy For The Devil et (I Can’t Get No) Satisfaction. Mission accomplie : les Stones n’ont peut-être plus le feu, mais ils ont toujours l’étincelle.
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