Les Peaux rouges

de Emmanuel Brault, éditions Grasset, 196 pages.

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Ça commence comme la prise de parole d’un type un peu pénible au comptoir d’un bistrot. Ça se poursuit au même rythme, mais de manière plutôt hypnotique, dans un équilibre parfait entre laïus magmatique, lapidaires assertions définitives et surtout, surtout, déformation systématique de toutes les expressions figées: farfelus (« ils te rendent la monnaie de ta nièce »), lumineux (« bouc-éviscère », « les mouches avaient changé d’âme », « un faux-rire« , « les casse-temps autorisés ») ou plus lourdingues (« l’horreur est humaine », « droits dans leurs crottes »), les dérapages sémantiques provoquent autant d’électrochocs chez le lecteur, contraint d’assister amusé à la confession/justification d’un pur « raciste incompris ». Élevé par sa Mémé, son seul amour, Amédée évolue en effet dans un monde où de mystérieux immigrés à la peau rouge, rescapés d’un massacre de masse perpétré dans un pays voisin, ont déferlé dans ses rues, son petit monde sinistre et routinier, pour venir -bien entendu, c’est sûr, aucun doute là-dessus- lui bouffer les allocs sur le dos. Dans une société, surtout, où le crime d’insulte raciale est puni avec autant de sévérité, d’intransigeance que celui de pédophilie, où bousculer un « Rouge » vous attire une sentence encore alourdie si ce dernier souffre d’un quelconque handicap (que celui-ci soit visible ou non, amputation des deux jambes et zozotement placés au même niveau), le brave pauvre type assume pleinement sa xénophobie, et s’insurge -jusqu’à singer un nouveau Fort Chabrol- contre la fameuse « bien-pensance universaliste ». Un premier roman drôle (la plupart du temps), d’une décontraction ordurière et d’une mauvaise foi remuante, écrit dans un style « Petit Nicolas cradingue » majoritairement réjouissant, qui remplit donc son office avec un enthousiasme de sale gosse.

F.P.

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