Les mots bleus

Brillant premier album qui nous transporte dans une intrigue muette entre Amélie Poulain et le mythe de Faust, Béatrice nous montre plus qu’il ne dit.

On ne connaîtra son nom que parce qu’il est écrit sur la couverture -comme le chantait Christophe, Joris Mertens utilise uniquement les mots bleus, ceux qu’on dit avec les yeux. Béatrice, donc, est vendeuse au rayon gants des galeries La Brouette -qu’on devine à Paris. Une existence quotidienne solitaire, ni vraiment triste, ni très heureuse, rythmée par des rêveries d’ailleurs et de romantisme, et juste perturbée par ce sac rouge abandonné dans la gare, et qui l’attire irrésistiblement -cette couleur rouge, peut-être. Alors un jour, Béatrice se décide et y plonge la main. Elle y découvre un vieil album photo, datant des Années folles, et qui transpire l’amour et le bonheur. On y voit quelques clichés d’un couple radieux, d’une femme qui pourrait ressembler, un peu, à Béatrice, des moments éclairés par leur sourire et puis des lieux, que Béatrice croit reconnaître et tente de retrouver. Jusqu’à plonger corps et âme dans cet album et ces photos, et finalement en faire partie… Un rêve romantique comme en a filmé Woody Allen (La Rose pourpre du Caire, Midnight in Paris) mais qui aura son prix: Faust rôde dans ce conte nostalgique, qui constitue un premier album trop vite lu, mais épatant.

Les mots bleus

Raconter sans dire

La bande dessiné flamande est décidément pleine de surprises et de ressources, même si cette fois-ci, le Fonds flamand des Lettres n’a pas dû mettre la main à la poche pour assurer la traduction et la distribution hors Flandre de ce premier opus: Joris Mertens, dans un tout autre registre que son collègue Pieter De Poortere et son Dickie, use lui aussi de la seule narration visuelle pour raconter sa Béatrice. Un exercice de style et un petit exploit d’une remarquable fluidité. À coups de grandes cases, parfois de superbes doubles pages et de nombreux plans rapprochés, collés aux expressions de Béatrice, Joris Mertens excelle dans cet art de raconter sans dire. Son CV l’explique en partie: s’il a attendu d’avoir la cinquantaine pour publier son premier album -avec un trait et des atmosphères qui semblent s’inspirer autant de Juillard que de De Crécy-, Joris Mertens était surtout jusqu’ici photographe, graphiste et directeur artistique dans le monde du cinéma. Des métiers qui lui ont donné un redoutable sens du cadre, de l’image et donc d’une narration avant tout visuelle, où la teinte d’une robe, les éclairages d’un bistrot et le choix d’un nuancier de couleurs deviennent fondamentaux. Édité une semaine avant le confinement, Béatrice ne mérite pas d’y rester coincé.

Béatrice

de Joris Mertens, éditions Rue de Sèvres, 112 pages.

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