COMME LEURS GRANDS FRÈRES DE TINARIWEN ET LE NIGÉRIEN BOMBINO, LES MALIENS DE TAMIKREST DÉFENDENT LA CAUSE TOUARÈGUE GUITARES ÉLECTRIQUES EN BANDOULIÈRE. À LA RENCONTRE DES HOMMES BLEUS ET DU BLUES DES SABLES.
Paris. Le 15 octobre dernier. Les rockeurs touaregs de Tamikrest fument et boivent le thé entassés dans leur minuscule loge de la Maroquinerie. En tournée européenne, ils prêchent la bonne parole et défendent la cause de leur communauté. Une communauté qui n’a pas été épargnée depuis un demi-siècle et la déclaration d’indépendance du Mali: réprimées dans le sang, les révoltes touarègues du début des années 90 ont décimé leurs familles et leurs cercles d’amis.
« Je préfère la guitare et le rock à la guerre et la kalachnikov, explique en français dans le texte le chanteur, auteur et compositeur de Tamikrest Ousmane Ag Mossa. Je vois la musique comme un combat. J’ai eu l’opportunité de prendre les armes mais je ne l’ai jamais saisie. Je n’aime pas la violence. Je n’ai jamais tué, jamais causé volontairement de mal à qui que ce soit. Je ne pourrais pas tirer sur quelqu’un qui me regarde dans les yeux. La douleur peut mener à de tels actes. Mais moi, je veux me battre pacifiquement. En racontant notre présent et notre passé. En partageant notre histoire. »
Vivant dans le Sahara central (Algérie, Libye) et sur les bords du Sahel (Niger, Mali et Burkina Faso), les Touaregs, souvent appelés les hommes bleus en référence à la couleur de leur chèche, long foulard qui les protège du soleil et du vent, sont les descendants des premiers habitants d’Afrique du nord. Leur zone de peuplement traditionnelle s’étend sur près de 2,5 millions de km2, soit l’équivalent de l’Europe occidentale… Sur ce sable brûlant sous lequel le pétrole et l’uranium font de l’oeil aux multinationales, ils ont longtemps été chassés. Au mieux, ils y sont aujourd’hui encore marginalisés.
« Nous sommes des hommes libres. Dans le désert, nous ne connaissions que la liberté et nous sentions chez nous. Mais à partir de l’indépendance du Mali (et de la décolonisation qui a inversé les rapports dominants/dominés à l’intérieur du pays, ndlr), en 1960, nous avons été confrontés à des lois, frappés par des impôts et des taxes dont on n’a jamais rien eu en retour. Nos parents l’ont ressenti comme une injustice, une domination. Des choses que nous n’acceptons pas, nous, les Touaregs. »
Dans les années 70, les hommes des sables ont été frappés de plein fouet par la sécheresse. Ils en veulent encore à l’Etat malien de n’avoir rien fait pour aider une population qu’il prétendait sienne. « Nous voulons nous sentir respectés. Et non être considérés comme des étrangers sur notre propre territoire. »
Ali Farka Toure, Mark Knopfler et Bob Marley…
Au Mali, les accords de 1992 ont bien instauré une autonomie pour le peuple touareg. « Mais ils ne sont qu’un bout de papier signé. Un chèque d’un milliard de dollars que tu ne peux pas encaisser ne fait guère de toi un homme riche« , image Ousmane. Les accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal conclus en 2006 n’ont pas changé grand-chose non plus. Kidal, les Tamikrest (traduisez par le « noeud », la « coalition ») en sont originaires. Ils se sont rencontrés à l’école Les Enfants de l’Adrar, située à Tinzaouaten et financée par des fondations européennes. Ils ont formé le groupe en 2006. Alors âgés d’une vingtaine de piges.
« Dans les années 80 et 90, le seul band touareg qui donnait des concerts et faisait carrière, c’était Tinariwen. Il y a toujours eu des jeunes qui jouaient de la musique. Mais pour s’amuser. Pour occuper les journées parfois interminables dans le désert. Tinariwen, par contre, a réalisé de très grandes choses pour la communauté. Dans le temps, nous n’avions pas Internet, pas de radio pour communiquer. La musique et les cassettes servaient à propager des messages auprès de la population. Leurs chansons disent quelque chose et sont pleines de sens. »
Tinariwen a exercé une telle influence sur les rockeurs touaregs qu’il est difficile pour eux de s’en défaire. Ousmane fait penser jusque dans son look au leader de ses glorieux ainés. Et le son de Tamikrest est imprégné par celui de ses grands frères.
« Je n’ai longtemps accordé aucune importance à l’origine de la musique. Je veux dire à savoir d’où elle venait. J’ai toujours écouté ce qui me plaisait. La première chose à laquelle j’ai vraiment prêté attention qui n’était pas Tinariwen ou de la musique traditionnelle touarègue, ça a été Ali Farka Toure… »
Pour ce qui a suivi, sa mémoire hésite entre Bob Marley ou Mark Knopfler. « Tous les jeunes Touaregs des années 80 connaissent Dire Straits. Je ne sais pas pourquoi mais on l’adorait dans le désert. Son son de guitare nous touche. Ses solos nous parlent. »
Enfant, Ousmane a aussi beaucoup écouté Pink Floyd, Neil Young (plus récemment, il a découvert Eric Clapton, grâce à son guitariste français)… « A 7 ans, je ne savais pas qui ils étaient, d’où ils venaient. Pour moi, tous ces gens pouvaient vivre quelque part dans le désert. »
A l’époque, leur musique circulait sur des cassettes. Le MP3 n’est pas vieux et il l’est encore moins au nord du Mali. Quant au CD, en plus d’être arrivé très tard, il se raye sous les effets du sable. « Les cassettes permettent de s’enregistrer, raconte Ousmane. Mais on utilise aussi les lecteurs pour jouer de la guitare électrique en reliant le jack de notre gratte à la tête de lecture. On a également une technique avec des morceaux métalliques de piles pour la guitare acoustique… On a tellement peu de moyens qu’on est débrouillards. On se transmet ce genre d’astuces de génération en génération. »
Crise du désert
Pour la première fois, Tamikrest n’a pas enregistré son album à Bamako. Il est parti le mettre en boîte à Prague en février dans un studio recommandé par leur producteur, le Chris Eckman des Walkabouts et de Dirtmusic. Comprenez dans le froid, la glace et sous la neige. « A Bamako, ces derniers temps, il ne faisait pas bon être touareg… Même ceux qui y habitaient de longue date sont partis se réfugier au Burkina Faso. Ceux qui y sont restés se faisaient discrets. On leur reproche à tort d’avoir été complices des Jihadistes. Nous n’avons pas pris le risque d’aller y travailler. »
Le nord-est du Mali, terre des Touaregs, est devenu un des bastions stratégiques des islamistes radicaux et est tombé sous l’occupation d’Aqmi (Al-Qaeda au Maghreb islamique). « Et ce sans que personne ne bouge le petit doigt. Alors que ce groupe était basé à un endroit bien précis que tout le monde connaissait. L’Etat malien s’en foutait. ONG, touristes… Plus personne ne venait. On a vécu une crise du désert. Une crise économique. L’Etat l’a regardé péricliter. On ne peut pas laisser un groupe terroriste se glisser dans une communauté. Courant le risque qu’il embrigade des délaissés et des désespérés. »
Aujourd’hui, Ousmane est basé en Algérie. Il n’est plus rentré à Kidal depuis 2012. « Les accords de 2006 n’ont jamais été respectés. Je veux voir des choses concrètes. J’ai entendu parler de l’existence d’un ministre pour la conciliation de l’Etat malien. Mais ça ne veut rien dire. Je ne pense pas qu’il existe de grosses tensions entre les Touaregs et la population civile. Ce n’est pas une question de Noirs et de Blancs. Mais de gens qui revendiquent leurs droits face à des politiciens et un gouvernement. Si on parle de rébellion, c’est contre l’injustice. Quand l’injustice devient loi, la révolution devient devoir. »
La présence des Jihadistes, couplée à l’existence de produits dangereux des multinationales pouvant provoquer des cancers et empêchant l’herbe de pousser les ont de plus en plus poussés vers les banlieues des grandes villes. Or, pour les Touaregs, être nomade, c’est à la fois un choix de vie et un moyen de conserver son identité, sa culture, son histoire plutôt que de se retrouver noyés dans des cités où ils sont minoritaires. La sédentarisation étant souvent synonyme d’acculturation plus ou moins forcée.
Touche pas à ma soeur
Dignes représentants du blues du désert branché sur groupes électrogènes, les Tamikrest ont intitulé leur dernier album Chatma. « Les soeurs » en tamasheq… Un disque dédié à toutes celles qui ont enduré les blessures du conflit jusque dans leur chair… « Rien ne nous fait plus mal que de voir nos femmes souffrir. Je ne saisis pas pourquoi elles sont toujours victimes des situations de guerre. Je ne vois pas leur responsabilité et je ne comprends pas qu’on s’en prenne à des populations innocentes. Qu’on sème la terreur dans leurs vies. »
La chanteuse Wonou Walet Sidati est leur voix au sein de Tamikrest. Chez les Touaregs, les enfants appartiennent à la tribu maternelle et la tente est sa propriété. C’est la femme aussi qui détient les savoirs et a pour rôle de les transmettre. « Elle possède une très grande liberté que je ne perçois pas dans beaucoup d’autres communautés, insiste Ousmane. Une femme battue a le droit de quitter son mari dès que l’on voit une trace de coup sur son corps. Et quand elle divorce, elle peut se remarier. Elle a la même liberté que l’homme. On ne l’oblige pas à rester à la maison ou à porter un voile. »
La liberté encore, toujours… « Nous voulons une véritable autonomie. Redevenir les maîtres de nos destins. Etre présents dans toutes les grandes décisions à venir. Si vraiment l’Etat malien n’a pas besoin du désert et ne peut pas le gérer comme il se doit, il peut nous le laisser. » Le son des guitares électriques touarègues y résonne déjà.
CHATMA, DISTRIBUÉ PAR GLITTERBEAT.
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LE 29/10 À LA ROTONDE (BOTANIQUE).
RENCONTRE Julien Broquet, À Paris
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