Vies en souffrance – Faïza Guène change de registre. La « Sagan des banlieues » s’essaie à la fresque sociale gansée de noir. Un virage prometteur pour la beurette au verbe pétaradant.

De Faïza Guène, éd. Hachette Littératures, 180 pages.

Petit rappel pour ceux qui prendraient le RER en marche: Faïza Guène, c’est cette beurette qui en 2004 déridait le monde des lettres avec un livre à propulsion détricotant tous les clichés sur la banlieue: kif kif demain. Elle n’avait alors que 19 ans et fut bientôt surnommée la « Sagan des banlieues » pour cette chronique peps des quartiers servie chaude par une narratrice adolescente carburant à l’humour et à l’optimisme à toute épreuve. Et l’on sait que la vie au-delà du périph n’en manque pas…

Deux ans plus tard, rebelote, le phénomène éditorial et médiatique replongeait sa plume dans la même casserole pour mitonner une nouvelle tranche de banlieue certifiée sans misérabilisme. Du rêve pour les oufs renouait avec la gouaille parfumée au verlan, le monologue féminin et les vues imprenables sur un paysage de HLM, et confirmait le talent de cet auteur précoce qui avait entretemps exporté sa tchatche jusqu’aux Etats-Unis.

Au risque toutefois de tourner en rond et d’échanger un ghetto pour un autre, littéraire celui-là, il était temps pour Faïza Guène de sortir un peu de son microcosme, de s’éloigner de son quartier. C’est chose faite aujourd’hui avec Les gens du Balto, son petit-dernier. Bon, d’accord, elle ne quitte pas vraiment la zone, s’expatriant juste au bout de la ligne RER, là où la ville prend la clé des champs. Un saut de puce mais une tout autre réalité sociologique sur les quais. Et donc un livre très différent des deux autres.

Voie avec issue

Le pitch? Joël Morvier, bistrotier raciste et pervers, est retrouvé assassiné de plusieurs coups de couteau dans son bar, Le Balto, à Joigny-les-deux-bouts, un bled du bout du monde. S’agit-il d’un crime crapuleux? D’un règlement de compte? La police interroge les principaux suspects, tous habitués du troquet. Sept personnages, aux pedigrees très différents, vont ainsi se succéder à la barre du récit pour expliquer ce qu’ils faisaient au moment du meurtre. Un excellent prétexte pour donner la parole à ces écorchés vifs, à ces accidentés de la vie. Et décrire en creux le quotidien d’une communauté engluée dans le défaitisme et le déterminisme social.

On le sent tout de suite, Faïza Guène a mûri. La trame a gagné en épaisseur, déroulant son ruban entre polar et fresque sociale. Quant au propos, il a été repeint en noir, de la même couleur que les âmes cabossées qui ricochent de page en page au gré des désillusions et des ranc£urs.

Mais si elle lâche du lest sur l’argot et l’exubérance, l’écrivain n’en a pas moins conservé l’oralité qui boostait ses deux livres précédents. On l’écoute autant qu’on la lit, bluffé par sa capacité à reproduire les parlers les plus improbables. Et même si tout n’est pas parfait (elle aurait pu faire mijoter sa tambouille un peu plus longtemps pour lui donner encore plus de goût), Faïza Guène n’a pas raté son virage. Laissant entrevoir des lendemains qui chantent. Après tout, la banlieue est un vaste territoire qu’une vie entière ne suffirait pas à labourer…

Laurent Raphaël

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