Les Gardiens de la Galaxie font leurs adieux en beauté: « Rocket a toujours été pour moi le héros secret de la franchise. »
Pilotée par James Gunn, la franchise Guardians of the Galaxy tire sa révérence, même si certains de ses héros continueront d’apparaître dans des films du Marvel Cinematic Universe.
Sa vie ressemble à un roman. Voire même à un film un peu fou qu’il aurait très bien pu lui-même imaginer. Scénariste et réalisateur punk-trash qui a commencé à tourner des histoires de zombies dans les bois avec ses frères dès l’âge de 11 ans puis fait ses classes à l’école Troma (Tromeo and Juliet en 1997), société de production indépendante américaine spécialisée dans les comédies horrifiques à petit budget, James Gunn multiplie les projets déjantés, signe le drôle, flippant et culte Slither en 2006 puis la parodie de films de super-héros Super en 2010 avant de se voir confier par Disney les clés de l’une des plus importantes franchises de l’univers Marvel au cinéma. Avec le premier Gardiens de la Galaxie (2014), il découvre les joies des budgets somptuaires des blockbusters hollywoodiens mais n’en continue pas moins à creuser la veine d’une contre-culture joyeusement irrévérencieuse portant au pinacle les marginaux et les inadaptés. Après la réalisation d’un deuxième volet (2017) certes moins tranchant mais néanmoins grand triomphateur du box-office, il connaît la disgrâce suite à l’exhumation par l’alt-right américaine de vieux tweets où il faisait des blagues sur la pédophilie et l’Holocauste avant d’être réengagé par Disney, qui l’avait viré sans sommation, grâce à un massif soutien artistique et médiatique.
Dans la foulée, Gunn passe chez “l’ennemi” de Marvel, DC, pour tourner The Suicide Squad, non sans venir clôturer aujourd’hui sa trilogie Guardians of the Galaxy avec un ultime volet bourré d’humour et d’action, et au cœur gros comme ça. Son avenir? Il s’écrira chez DC Studios, dont il vient d’être nommé co-PDG et où après avoir créé la série Peacemaker, il réalisera le prochain Superman, Superman: Legacy, annoncé pour 2025. Tout ça, on en conviendra sans peine, méritait bien une interview…
Comment vous sentez-vous à l’heure de tourner la page des Guardians of the Galaxy et de votre contrat chez Marvel?
Je dois avoir passé au moins 60% de mon temps, durant les onze dernières années de ma vie, à penser aux Guardians of the Galaxy. C’est donc une période très bizarre et remuante, pour moi, parce que tout ça va devoir s’effacer peu à peu de mon cerveau pour laisser la place à d’autres choses. Ce n’est pas forcément facile de tourner la page, mais en même temps c’est un vrai soulagement d’avoir réussi à boucler la boucle d’une façon, je peux le dire aujourd’hui, dont je suis fier. J’ai vraiment le sentiment que chaque personnage de la saga a eu droit au final qu’il méritait.
Comment avez-vous envisagé l’écriture de ce dernier volet de la saga?
Le premier Guardians était centré sur une figure maternelle, le deuxième sur une figure paternelle et celui-ci prend davantage la forme d’une exploration de soi. Je voulais qu’il y ait une vraie évolution émotionnelle à travers la trilogie et je savais que celle-ci finirait par se nouer essentiellement autour du personnage de Rocket (le raton laveur génétiquement modifié des Guardians, NDLR). Quand, à l’époque, Marvel est venu me trouver pour que je réalise le premier Guardians of the Galaxy, j’avais pourtant de sérieux doutes concernant le personnage de Rocket. Parce que j’avais le sentiment que ça allait être Bugs Bunny au milieu des Avengers. Mais, peu à peu, j’ai réfléchi à la manière de le faire exister et j’ai compris qu’il s’agissait d’un être très seul, tellement seul, au fond, qu’il est la créature la plus triste de l’univers et qu’il est complètement refermé sur lui-même. Cette idée a été le germe de toute la saga. Et, depuis ce jour, Rocket a toujours été pour moi le héros secret de la franchise. Dans le premier film, il ne se préoccupe que de lui-même et de son ami Groot, il n’en a absolument rien à faire de sauver le monde. Dans le deuxième, il commence à se tracasser pour l’ensemble de la bande. Et le troisième volet le voit enfin faire l’expérience de ce qu’est la vraie compassion.
Il est beaucoup question d’amitié et de famille d’élection dans la franchise…
Oui, je viens moi-même d’une famille nombreuse. Nous étions six enfants à la maison. J’ai toujours vécu dans un brouhaha permanent et dans un fonctionnement très collectif. Je crois qu’il m’est par conséquent très naturel de mettre en scène un groupe de personnages qui se complètent et traînent constamment ensemble, avec ce que ça implique en termes de dynamique et d’énergie. Les membres des Guardians sont tous à la base des mal-aimés ou des marginaux qui peinent à trouver leur place dans le monde. Tout le trajet de la saga est de renforcer les liens qui se tissent peu à peu entre eux pour qu’ils constituent à l’arrivée une véritable famille de cœur.
En quoi est-ce contraignant d’écrire un film qui doit absolument s’intégrer au sein d’un univers partagé comme l’est le Marvel Cinematic Universe?
J’ai eu la chance de ne jamais devoir beaucoup me préoccuper de ça. Les Guardians, en effet, ont toujours fonctionné de manière très autonome au sein du Marvel Cinematic Universe. La seule chose vraiment décisive à ce niveau avec laquelle j’ai dû composer tient à ce qui arrive au personnage de Gamora, joué par Zoe Saldaña, dans Avengers: Infinity War puis dans Avengers: Endgame. Ça a été fait en concertation avec tout le monde, bien sûr, mais ça a changé la donne pour ce troisième volet. Il s’agissait donc de faire de ce changement quelque chose de positif, qui fonctionne et apporte un plus au film, et je crois, j’espère en tout cas, qu’à ce niveau c’est mission accomplie.
Qu’en est-il de l’avenir des personnages de la franchise?
Ce qui est certain, c’est que vous ne verrez plus jamais les Guardians of the Galaxy dans la configuration qui est celle de la trilogie. Certains personnages ne reviendront jamais, pour diverses raisons, d’autres, par contre, ont assurément un futur dans le Marvel Cinematic Universe. Je ne pourrai plus être là pour superviser la manière dont les personnages seront intégrés à d’autres films à l’avenir, parce que je serai alors entièrement chez DC, mais disons que j’ai laissé quelques recommandations aux responsables de Marvel (sourire).
Vous avez travaillé au même moment pour Marvel et DC, qui sont considérés comme des concurrents féroces. N’était-ce pas un peu schizophrène?
On pourrait le penser, mais je crois qu’il faut apprendre à voir les choses sous un angle différent. C’est-à-dire qu’au début, quand je travaillais chez Marvel et que je voyais un film DC se planter, j’avais plutôt tendance à me réjouir bêtement (sourire). Mais je réalise aujourd’hui que ce n’est en fait bon pour personne si de mauvais films de super-héros sortent sur les écrans. Parce que ça gâche le plaisir des spectateurs, qui peuvent potentiellement finir par se détourner de ce genre de productions. Notre époque a besoin de gens qui ont envie de sortir de chez eux et d’aller voir des films en salles. Je pense donc que tout le monde aurait à y gagner si et Marvel et DC ne sortaient plus que des bons films.
Comprenez-vous qu’une certaine lassitude se soit installée et que des critiques, émanant notamment de cinéastes très prestigieux, aient commencé à fuser à l’encontre de la déferlante de films de super-héros?
Bien sûr que je le comprends. Et, dans une certaine mesure, je suis d’accord avec ces critiques. Il est vrai qu’un certain nombre de films de super-héros aujourd’hui sont d’un ennui infini et que trop de réalisateurs et de producteurs privilégient le grand spectacle à tous crins en oubliant de réfléchir en profondeur à l’histoire qu’ils veulent raconter et aux personnages qu’ils veulent faire exister. Mais là où je ne suis pas d’accord, c’est quand on en vient à critiquer le genre dans sa globalité. Vous savez, le cinéma a une tradition de genres très variée. Il existe de formidables westerns et de formidables films de gangsters, mais il existe aussi de formidables films basés sur des comic books. Donc si on vient me dire que les films de super-héros ne sont pas du cinéma, je ne suis absolument pas d’accord avec ça. C’est même du pur non-sens pour moi.
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Vous avez toujours donné le sentiment de parvenir à garder votre singularité d’auteur au cœur de la grosse machinerie hollywoodienne…
J’occupe, c’est vrai, aujourd’hui une position singulièrement privilégiée à Hollywood qui fait que je peux réaliser des films avec beaucoup d’argent tout en restant fidèle à mes envies et à mon ADN d’auteur. Ça ne veut pas dire pour autant que je crée dans ma bulle, sans jamais tenir compte des avis que je récolte autour de moi, mais disons qu’au final c’est moi qui pose les décisions créatives sans forcément connaître beaucoup d’interférences.
Dans ce troisième volet, l’un des personnages dit que, dans la vie, tout le monde devrait avoir droit à une seconde chance. Est-ce une manière de renvoyer à votre propre disgrâce puis votre réhabilitation suite à cette malheureuse histoire de tweets?
(sourire) Non, j’avais déjà écrit une bonne partie du scénario de ce troisième volet avant d’être viré par Disney et cette phrase était déjà couchée sur le papier avant toute cette histoire. Vous savez, quand je repense à tout ça aujourd’hui, je me dis bien sûr que c’était une période particulièrement douloureuse de ma carrière mais en un sens je suis reconnaissant que ça me soit arrivé. D’abord parce que ça m’a confronté à certains comportements assez stupides que j’avais pu avoir. Mais aussi parce que ça m’a permis de mesurer à quel point le processus créatif était important pour moi, et à quel point réaliser des films m’était précieux. Et puis, sentir tout ce soutien autour de moi était vraiment inattendu. Ça m’a revigoré d’une manière assez incroyable.
Guardians of the Galaxy Vol. 3
Fin de partie pour les Guardians of the Galaxy, attachants marginaux qui se lancent dans une ultime mission (forcément) périlleuse pour tenter de sauver la vie de leur ami Rocket, dont on découvre en flash-back le passé traumatique. Porté par une playlist rétro toujours aussi électrisante (Radiohead, The Flaming Lips, Faith No More, Beastie Boys…), ce troisième volet, bien meilleur que le deuxième, aligne les chouettes blagues potaches et les impressionnantes scènes d’action, mais s’autorise également de grandes envolées émotionnelles qui apportent à l’ensemble une vraie densité dramatique. Si le film ne brille peut-être pas toujours par l’originalité de son scénario, sa mise en forme, elle, est tout simplement irrésistible.
De James Gunn. Avec Chris Pratt, Zoe Saldaña, Dave Bautista. 2 h 30. Sortie: 03/05. ***1/2Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici