Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Femmes sous influences – Claude Pujade-Renaud ressuscite le couple mythique Ted Hughes-Sylvia Plath dans un roman où l’art et la vie ne font pas toujours bon ménage.

DE CLAUDE PUJADE-RENAUD, ÉDITIONS ACTES SUD, 349 PAGES.

In 1998, le poète anglais Ted Hughes apprend qu’il est condamné. Il se décide à publier Birthday Letters, un recueil de lettrespoèmes adressées à son épouse disparue 35 ans plus tôt, la grande écrivain Sylvia Plath. En découvrant ce qui est peut-être la conclusion d’une histoire qui a longtemps cherché son issue, Claude Pujade-Renaud entame Les femmes du braconnier, impressionnant roman sur le couple, devenu mythique dans le monde anglo-saxon. En 1956, à Cambridge, Sylvia Plath est fascinée par la poésie de Ted Hughes. Dès leur première rencontre, l’attrait réciproque est là, violent: quand il tente de l’embrasser, éméchée, elle le mord à sang. Une image forte dont s’est emparée Pujade-Renaud pour entamer son récit sous le signe d’une animalité qui colle d’emblée à leur passion prédatrice et à leur langue rugissante:  » Ce qui m’intéressait, c’était l’animal comme représentant du désir, de la pulsion la plus profonde, la plus intérieure, la plus difficile à mettre en mots. »Au lendemain de leur mariage précipité, le roman pose la question de la cohabitation de deux immenses créateurs: « J’avais cette interrogation sur cette communauté de vie et de création, sur le partage de l’écriture: comment, à la fois, on peut aider l’autre et s’en protéger. C’est une question difficile, un jeu permanent, acrobatique. » Dans un premier temps, l’entente est féconde: Sylvia aide Ted à obtenir des bourses; il la fait pénétrer le milieu culturel londonien. Bientôt, Ted prend une maîtresse, Assia Wevill, autre poétesse. Le trio s’affronte, le couple s’effondre. Un vers de Ted, isolé par Pujade-Renaud en début de roman, nous revient comme un avertissement:  » Certainsanimaux s’accouplaient en se tuant l’un l’autre. »

Correspondances

En 1963, Sylvia se donne la mort en ouvrant, dans le même temps, le gaz et la porte à une reconnaissance critique fulgurante. Un paradoxe qui lui va bien, habituée aux contrastes dévorants: « C’est peut-être ce qui fait la force de sa poésie: cet extraordinaire dynamisme, cet affleurement du pulsionnel qui passe dans le rythme des mots et, dans le même temps, le fait qu’elle soit constamment au bord du vide… C’est à la fois fascinant et terrifiant… « Dans une tournure originale, le roman ménage alors beaucoup de place à Assia, jusqu’à ce qu’elle se tue en reproduisant les gestes de Sylvia: « J’étais fascinée par le lien entre les deux femmes, la répétition du drame avec la seconde compagne de Ted, l’ombre portée de la première femme sur la deuxième, comme si la disparue exerçait une fascination sur elle. » Loin d’une bio de plus sur l’histoire d’un couple pour qui l’attrait morbide du fait divers a souvent pris le pas sur l’£uvre, Pujade-Renaud a intelligemment préféré concevoir son roman comme un appel incessant aux textes des poè- tes, leur essence:  » Je voulais souligner les correspondances et faire résonner des éléments de leur vie avec ce qui se passe dans les textes. C’est la question du lien entre l’écriture et la vie: une interrogation interminable. » L’auteur nous confie ne pas être prête à entamer un prochain récit: « Ces trois-là m’ont épuisée… » Abasourdi, on n’en sort pas plus indemne…

Ysaline Parisis

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