ELLE REVIENT AU THÉÂTRE 140BRUXELLES L’A DÉCOUVERTE DÉBUT 1967. UN DEMI-SIÈCLE DE CABARET HÉRÉTIQUE PLUS TARD, ENTRE APHORISMES ET AGNOSTICISME, LA FONTAINE DISCUTE DE TOUT, SAUF DES BRIGITTE…

C’était il y a dix ou quinze ans, en bas de chez elle, dans un café de cette île Saint-Louis qu’elle habite depuis des lunes. La conversation s’éparpillait entre réponses monosyllabiques et mauvaises pistes: la Fontaine s’emmerdait, nous aussi. Loin du délire verbal et des coups d’anticonformisme de ses disques. Quand il a été question de remettre le couvert de l’interview à l’occasion de sa prochaine visite au Théâtre 140, on a renâclé. Puis à l’écoute de l’album sorti en septembre, J’ai l’honneur d’être -tonique et décalé-, on y est quand même allé. Peut-être parce que c’est là, dans la salle schaerbeekoise de Jo Dekmine, que l’indignée aux tenues fantasques débuta dans nos régions, il n’y a pas loin d’un demi-siècle. Via un délirant cabaret sixties mené en compagnie de Rufus et Jacques Higelin. Maman j’ai peur que cela s’appelait. Ne parlez pas à Fontaine des dates ou de son âge, née en 1939 à Morlaix, Bretagne. « Merde les chiffres, merde les nombres, si tu veux savoir, j’ai plus de 20 000 ans. » Entre un alcool blanc, un café serré et des clopes, vêtue d’un long machin en angora noir, Madame raconte ses fables Fontaine. En changeant d’intonation vocale selon les moments, ce qui donne une bande son entre Sissi et Scream, avec de petits claquements de bouche comme le font les femmes en Afrique et de réguliers « Hamdoulah« , ces « Gloire à Dieu« proférés ici par une mécréante.

Tu te souviens de ta première visite à Paris?

Je devais avoir douze ans, avec mes parents. Ce n’était pas marrant. Ça rime, je ne peux pas m’empêcher de rimer, c’est une manie. Mes parents étaient tous les deux instituteurs, laïques -comme ma grand-mère et mon arrière-grand-père- et ils ont eu le bon goût de ne pas me faire baptiser. Ce qui était rare à l’époque, en Bretagne. La Bretagne est comme moi, sauvage et douce. La Bretagne a des palmiers, même s’ils ressemblent à de vieux chameaux déplumés.

Donc, tes parents étaient laïques et…

..libres penseurs, combattant l’obscurantisme. Sur mon album, il y a cette chanson, Au diable Dieu, j’ai voulu m’amuser: je ne suis pas athée mais anticléricale, mystique et ag-nos-tique. C’est ma liberté: je n’ai pas voyagé, je n’aime pas les voyages.

Quand tu as travaillé avec l’Art Ensemble Of Chicago au tout début des années 70, ils n’étaient pas militants musulmans?

Il y en avait beaucoup à cette époque, mais eux, non. J’ai horreur du jazz, je le conchie, sauf les grands vrais noirs Américains. J’aime BEAUCOUP Thelonious Monk, j’ADOOOOORE Billie Holiday.

Tu as fait tes débuts belges, ici au 140, qu’est-ce que cela t’inspire?

On était jeunes, et on est restés deux mois à Bruxelles, moi, Jacques (Higelin) qui est comme mon frère, et Rufus. C’était euphorique, formidable. Et puis Jo Dekmine est quelqu’un de remarquable. Un peu jésuite (elle sourit). J’aime les gens différents de moi: mon pianiste s’appelle Dondieu Divin (sic) et quand on joue Au diable Dieu, il sort de scène. Je crois en la force de certains lieux: ma belle-soeur qui est musulmane, la soeur d’Areski (Belkacem, son mari, ndlr), est allée à Lourdes parce qu’une sainte reste une sainte…

Areski partage ta vie depuis les années 60, et il travaille sur J’ai l’honneur d’être, comme Jean-Claude Vannier, orchestrateur connu pour ses travaux, notamment chez Gainsbourg, et qui composait déjà deux chansons de ton premier album sorti en 1968…

Compositeur merveilleux, parolier exceptionnel, ses chansons chantées par lui sont wwwwwooooaaw, trop bien. Moi, je cisaille mes textes parce qu’ils sont ma liberté: j’y suis ma-nia-que! J’ai beaucoup lu entre 15 et 19 ans: Dostoïevski, Musset, Stendhal, Rimbaud, que je lis toujours, seulement en prose, à part trois poèmes en vers que j’aime. Il est mon grand chéri, mon seul maître, s’il y en a un. Je donne de la matière à chaque mot. Je n’essaie pas, je fais. Je FAIS!

Comment te décrirais-tu en scène?

Liberté sans contrainte, amusement, mais tension. Pour moi, la scène est comme une cérémonie sacrée, habitée par l’unique. Je ne donne jamais deux fois le même concert. Je pense avoir conservé une forme d’innocence, comme dans ce titre du nouvel album, Père, dédié à mon père. Mais quand j’y pense, je pleure, donc je ne la chanterai jamais sur scène: « Tu m’aimais sans le dire/Mais avant de mourir/Tu m’as dit mon amour/C’est dans mon coeur toujours. »

Tu as toujours été active en matière d’engagement politique, pourquoi?

Comme dit Léo Ferré, « prise de la Bastille, même si cela ne sert à rien » (elle se rallume une clope)… Engagement, oui, même si cela ne sert à rien!

La France est dans un état de…

(nous coupant) Oui oui, c’est la merde partout, mais le rôle de l’artiste, c’est zéro. Etre artiste est une démarche personnelle de plaisir et de partage avec le public. Et je ne crois pas non plus au rôle de « passeuse » entre les générations: chacun est unique, il n’y a pas de filiation, de comparaison, de modèle ou de quoi que ce soit. Verlaine a dit: « De la musique avant toute chose.  » Moi, je suis une femme préhistorique, je ne connais pas Internet.

Tu penses que les Brigitte ont choisi leur nom en ton honneur?

(elle s’emballe) Ces putes ne s’appellent pas Les Brigitte mais Brigitte! Partout, on est obligé de mettre Brigitte Fontaine, à cause de ces connasses. Je les encule.

EN CONCERT LE 12 DÉCEMBRE AU THÉÂTRE 140 À BRUXELLES, WWW.THEATRE140.BE.

RENCONTRE Philippe Corne

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