Leïla Bekhti: comédie, mode d’emploi

Leïla Bekhti: "Je veux avant tout de belles histoires. Donc qu'elles se passent à Megève ou à San Francisco, pour moi ça ne fait aucune différence." © KARE PRODUCTIONS
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

À l’affiche de La Lutte des classes aux côtés d’Édouard Baer, Leïla Bekhti aime que le rire soit franc mais aussi généreux. Portrait d’une actrice arrivée là un peu par hasard, et pour qui rien n’est jamais acquis.

« Ça t’embête pas si je fume? On se tutoie, hein. Ça va? » Dans le jardin d’un hôtel normand tourné vers la mer, la conversation est rythmée par le cri des mouettes rieuses. Un peu comme dans un strip de Franquin. Nous sommes en septembre dernier à Deauville, où elle faisait partie du jury du Festival du cinéma américain. Leïla Bekhti vient alors d’enquiller les tournages d’une série de comédies françaises qui ont depuis déboulé sur nos écrans: Le Grand Bain de Gilles Lellouche, Un homme pressé d’Hervé Mimran et le tout frais La Lutte des classes de Michel Leclerc (lire la critique du film). Mais aussi J’irai où tu iras, le nouveau long métrage de Géraldine Nakache, attendu dans les prochains mois. Autant dire qu’en matière de rire à l’écran, celle qui a explosé en 2010 dans Tout ce qui brille, César du meilleur espoir féminin à la clé, en connaît un rayon. « C’est-à-dire que quand je reçois un scénario, j’essaie vraiment de mettre mon côté actrice de côté pour le lire en tant que spectatrice. Je me demande: « Est-ce que j’aurais envie d’aller voir ce film? » Aujourd’hui, beaucoup de comédies françaises sont produites de manière sérielle, sans ambition ni profondeur. Si les personnages sont conscients qu’ils sont dans une comédie, c’est déjà foutu, ça ne me fait pas rire. Idem si le réalisateur n’est intéressé que par le second degré. Pour moi, une comédie se joue au premier degré et très sincèrement. Le Péril jeune, La Cité de la peur et Bernie sont trois films qui me font hurler de rire parce qu’ils sont honnêtes et généreux. Bernie, c’est une histoire profondément dramatique à la base. C’est ce que j’ai aimé dans l’écriture de Tout ce qui brille ou du Grand Bain. Ça ne fait pas que rire. Je pense qu’une bonne comédie, c’est avant tout un drame qu’on allège avec de l’humour. »

D’elle, Michel Leclerc, son réalisateur de La Lutte des classes, dit qu’elle n’a pas de certitudes. Et Bekhti, en effet, semble toujours avoir faim de débattre et d’apprendre. Dans le film, elle fait face à ses propres contradictions de femme d’origine maghrébine modeste pour qui l’ascenseur social a fonctionné, partagée entre la peur de trahir ses racines et celle de réussir pour de mauvaises raisons. Dans la vie, elle concilie sans peine naturel et célébrité. « Classe et populaire« , titrait ainsi très justement à son sujet le magazine parisien branché So Film, qui lui consacrait sa cover de mars.

Un choix par défaut

Née à Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine, au sein d’une famille algérienne il y a 35 ans de cela, Leïla Bekhti ne se destinait pas au métier d’actrice. « Au lycée, ma meilleure amie avait un an de plus que moi. Donc quand j’étais en troisième, elle était en seconde. Vers la fin de l’année, elle me dit: « Tu sais quoi, choisis surtout pas SES. » C’était les Sciences économiques et sociales. Comme option lourde, on avait le choix entre ça, les langues, où j’étais très mauvaise, et le théâtre. Et elle ajoute: « Vas-y, fais du théâtre, ils sont en chaussons et ils disent des textes. » C’était vraiment un choix par défaut. Très vite, pourtant, j’ai senti que j’adorais ça. J’ai commencé à acheter régulièrement un magazine qui s’appelait Casting mais sans jamais postuler pour autant, parce que ça restait quelque chose de totalement inaccessible dans ma tête. »

Quand elle décroche son bac, la jeune Leïla décide alors de devenir éducatrice. Elle entend parler d’une option à la fac de Saint-Denis qui combine ses deux passions: l’art-thérapie semble avoir été inventé pour elle. Mais au cours de son stage dans un centre pour handicapés, elle craque. « Parce que je pense qu’avant de pouvoir aider les autres, il faut faire un vrai travail sur soi, et je ne l’avais pas fait. J’ai commencé à travailler dans la boutique de vêtements de mon frère à Orléans. C’était mon jour de congé, et je suis tombé sur cette annonce de casting pour le film Sheitan de Kim Chapiron. J’y suis allée et ils m’ont prise. Si ça n’avait pas fonctionné ce jour-là, je ne crois pas que j’aurais persévéré. Je n’avais pas assez confiance, ni en moi ni en l’amour que je pouvais avoir pour le cinéma. »

Le rêve tout court

Trois ans plus tard, elle rencontre Tahar Rahim sur le tournage d’Un prophète de Jacques Audiard (2008). Aujourd’hui, ils ont un enfant ensemble et tâtent tous les deux de leur métier en dehors de l’Hexagone. Mais contrairement à lui, elle n’en fait pas une priorité. « Il y a d’abord eu la série Jour polaire, tournée en Laponie. C’était une expérience assez incroyable. Et puis plus récemment ce rôle dans Beirut, le thriller d’espionnage de Brad Anderson, aux côtés de Jon Hamm et Rosamund Pike. C’est génial de sortir de sa zone de confort et quand des expériences professionnelles t’enrichissent personnellement comme celles-là. Alors après, ouais, si ça se reproduit, je serai heureuse. Mais je veux avant tout de belles histoires. Donc qu’elles se passent à Megève ou à San Francisco, pour moi ça ne fait aucune différence. Je n’ai pas le rêve américain, j’ai le rêve tout court.« 

Comme celui, aujourd’hui concrétisé, de jouer dans l’adaptation du roman Chanson douce, le prix Goncourt de Leïla Slimani en 2016, dont la sortie sur les écrans est prévue à l’automne. « À chaque instant, j’ai conscience de la chance que j’ai et que rien n’est jamais acquis. L’idée de pouvoir un jour devenir blasée ne m’effleure même pas. C’est tellement génial de pouvoir vivre de ce métier. »

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