Laurent Raphaël

L’édito: Je est un autre

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’affaire Mehdi Meklat n’a pas dépassé la frontière française, mais est pourtant symptomatique de l’époque.

L’affaire n’a pas dépassé le poste-frontière de Hensies. Elle est pourtant symptomatique de l’époque et pourrait un jour ou l’autre finir sur les écrans tant elle ouvre des tiroirs moraux à double fond. Depuis des années, Mehdi Meklat est la coqueluche des médias parisiens (de gauche essentiellement) qui voient en lui, à juste titre, le chroniqueur talentueux d’une jeunesse française métissée qui interroge sans crispation sa diversité. Un « héros positif » qui préfère rassembler que diviser et qui oppose un humanisme fédérateur aux forces communautaristes centripètes de tous bords. Avec son complice du Bondy Blog -un média en ligne né dans la foulée des émeutes de 2005 pour faire entendre un autre son de cloche, celui des banlieues- Badroudine Saïd Abdallah, il est le coauteur de deux romans qui tentent de panser les plaies d’une Nation divisée et meurtrie, comme dans le dernier en date, Minute, récit poétique et choral des 60 secondes précédant le verdict de l’élection présidentielle. Un hymne à l’amour et à l’amitié qui leur a valu entre autres une invitation dans La Grande Librairie, l’émission littéraire de François Busnel sur France 5, ou la couve des Inrocks avec la fougueuse Christiane Taubira, ex-garde des Sceaux et frondeuse décomplexée du PS.

Voilà pour le visage avenant de ce Janus moderne. Car derrière ce masque civilisé se cache -ou plutôt se cachait- sous un pseudo fleurant bon la France sans « impuretés » Marcelin Deschamps, un autre homme, nettement moins recommandable celui-là. Depuis 2011, ce double diabolique déverse en effet quotidiennement sa haine sur Twitter. Ses cibles préférées? Les Juifs, les homosexuels, les femmes aussi. À première vue, le prototype parfait du « petit Blanc » aigri et raciste comme on en croise souvent sous les articles relatant des faits divers, sauf que deux catégories échappaient étrangement à ses crachats verbaux: les Arabes et les musulmans. Sans crier gare mais sans se cacher non plus, Meklat a repris les commandes de son compte en 2016, affichant son vrai nom sur le tas d’immondices. Il faudra toutefois la détermination d’une enseignante anonyme écoeurée par sa duplicité pour que le lien de parenté entre les deux personnages soit établi et que le jeune homme de 24 ans soit sommé de s’expliquer sur ce torrent d’injures. Petit échantillon: « Faites entrer Hitler pour tuer les Juifs » (au moment de la cérémonie des Césars en 2012) ou encore « J’ai envie de commettre un attentat pour qu’on parle de moi » (en 2010, soit bien avant la vague d’attentats de 2015).

Avant de disparaître des radars, l’ex-chroniqueur de France Inter a tenté maladroitement de s’excuser, invoquant tantôt une « duplicité maléfique« , tantôt « un personnage qu’il exècre« , tantôt un exercice de transgression qui serait allé trop loin. Autrement dit, une fiction de lui-même un peu trop criante de vérité. C’est ici qu’on entre dans une zone sensible de la société digitale. En multipliant à l’infini les possibilités de se construire de nouvelles identités, Internet rebat les cartes du vrai et du faux, jusqu’à parasiter le réel. Qui est le vrai Meklat au fond? Celui qui fait bonne figure devant le tout-Paris? Ou celui qui vomit ses insultes dans l’ombre et dynamite le vivre-ensemble? La perte de contact avec la réalité inhérente à ces « moi » virtuels entraîne une dépersonnalisation qui peut conduire un individu à laisser libre cours à des pulsions violentes qui, dans un autre contexte moins propice au déballage, seraient restées muselées dans un coin sombre de son inconscient.

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Dans un registre plus léger, la même question morale se pose quand un couple de stars, en l’occurrence Guillaume Canet et Marion Cotillard, utilise Instagram à des fins purement commerciales. Début janvier, le couple a commencé à se vanner mutuellement par photos embarrassantes interposées. Du pain bénit pour les sites qui carburent aux amphétamines people, tout contents de répondre à ce qui pouvait passer pour une invitation croustillante à s’immiscer dans la cuisine interne d’un couple en vue. Sauf que cette guerre des photos était en fait scénarisée. Il s’agissait de faire monter la température avant la sortie du film de Canet, Rock’n Roll. Joli coup de com, mais ici aussi, on peut parler de faux et usage de faux. Quand Cotillard annoncera sur le même média qu’elle est à nouveau enceinte, sera-t-on de nouveau dans la réalité ou encore dans la fiction? Qui dit qu’elle ne portera pas l’alien du prochain volet de la saga de Ridley Scott?

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