L’écrivain flamand Jeroen Olyslaegers à la conquête du public francophone
Les lecteurs francophones, notamment de Belgique, vont enfin pouvoir découvrir l’oeuvre de Jeroen Olyslaegers, un écrivain belge néerlandophone, auréolé des plus grands prix littéraires en Flandre et aux Pays-Bas, mais quasi inconnu chez les francophones de Belgique et d’ailleurs.
De passage à Paris pour présenter Trouble (traduit du néerlandais par Françoise Antoine), son sixième roman, mais le premier traduit en français (chez Stock), Jeroen Olyslaegers, parfaitement francophone, s’en amuse. « Une histoire belge », dit en souriant l’écrivain souvent considéré comme un héritier d’Hugo Claus.
« Trouble, est paru en 2016 en néerlandais sous le titre Wil et a été salué par toute la presse néerlandophone, tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, avant de devenir un best-seller. Ironie belge, nous francophones ne connaissons pas Jeroen Olyslaegers », se lamente Sophie Creuz, chroniqueuse littéraire de la RTBF, la chaîne publique francophone belge.
« J’adore le choix du titre de mon roman en français », explique l’écrivain anversois aux allures de barde, barbu et chevelu, des colliers autour du cou, rencontré chez son éditeur parisien. Troublant, Trouble l’est assurément.
Le roman se présente comme la longue lettre d’un vieil homme de 92 ans à son arrière-petit-fils (qui n’existe sans doute pas) pour tenter d’exorciser un passé qui ne passe pas.
Wilfried Wils, le narrateur, était policier à Anvers dans les années 1940. Il a participé sans état d’âme aux persécutions contre la communauté juive et, en même temps, apporté son aide à son ami Lode, également policier mais clairement engagé lui, dans la Résistance. « Wils n’est pas un psychopathe, c’est un homme normal », un « salaud ordinaire », par ailleurs dingue de Rimbaud, se rêvant lui-même en poète.
« Ce n’est pas moi qui a choisi l’histoire, c’est l’histoire qui m’a choisi », assure l’écrivain et dramaturge âgé de 51 ans, obsédé par la transmission et la mémoire. Petit-fils d’un « collaborateur » durant l’Occupation, Jeroen Olyslaegers affirme qu’il n’avait pas envie d’écrire une histoire sur la Seconde guerre mondiale après avoir entendu « les fables » de son grand-père.
Margot la folle
Mais la volonté de revenir à ces années troubles a été plus forte. L’écrivain affirme avoir été littéralement « hanté » par son personnage.
« La voix de Wilfried était dans ma tête pendant l’écriture. Elle est restée avec moi après, c’était terrible », dit-il. « Wil c’est le diminutif de Wilfried mais c’est aussi un jeu de mot, intraduisible en français, sur « La volonté de puissance » (« Wille zur Macht ») de Friedrich Nietzsche, une théorie vraiment populaire dans les années 1930 et 1940 dans les milieux de droite et d’extrême droite. »
« Bien sûr, nous connaissons la différence entre le bien et le mal mais que faisons-nous quand il faut faire coïncider la théorie et la pratique? Belges et Français nous acceptons qu’il y ait une différence entre théorie et pratique, on a une sorte d’empathie pour l’hypocrisie », affirme le romancier.
Jeroen Olyslaegers se garde de porter un jugement sur son narrateur. « Le livre est rempli de zones grises », dit-il. L’ami de Wils, Lode, cache un juif dans une cave mais est-ce désintéressé ou contre de l’argent? Plutôt qu’un jugement, le livre dresse un constat terrifiant: si cela a été possible hier, cela peut l’être demain.
Scène culturelle bouillonnante et ouverte, Anvers reste aujourd’hui un bastion de l’extrême droite en Europe. Un fil rouge parcourt le récit. C’est un tableau de Brueghel (exposé à Anvers) intitulé Margot la folle. Fasciné par l’oeuvre de ce peintre (qui sera au centre de son prochain roman), l’écrivain semble dresser un troublant auto-portrait en décrivant le tableau. « Margot la folle se démène dans un paysage de folie, en proie à la guerre et aux souvenirs, dans des tons rouge vif, bruns et noirs. Ses yeux sont si écarquillés qu’elle voit tout et rien à la fois. Est-elle personnellement à l’origine de cette calamité ou fait-elle seulement partie de cette dégueulasserie, jouant le jeu, elle aussi? »
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