BERTRAND TAVERNIER S’ÉTEND SUR DIVERS PRÉCEPTES AYANT PRÉSIDÉ À SA MAGISTRALE ADAPTATION DE QUAI D’ORSAY, LA BANDE DESSINÉE DE CHRISTOPHE BLAIN ET ABEL LANZAC…

Paris, par une belle après-midi de juin. A quelques jours du festival de Bruxelles dont il sera l’invité d’honneur, Bertrand Tavernier se montre peu avare de son temps. Au menu d’une longue conversation, son parcours, sa cinéphilie, mais aussi Quai d’Orsay, encore inédit, qu’il déflore avec cette passion dont il semble ne jamais se départir. Préceptes…

Adapter n’est pas copier.

« Il ne fallait pas essayer de copier la BD, ni s’en servir comme story-board. En revanche, sachant que Christophe Blain avait travaillé comme un fou sur la justesse, il fallait s’en servir pour ça, pour l’ameublement, ou la couleur d’une cravate, par exemple. Ensuite, il n’y a pas 10 000 façons de filmer le grand bureau derrière lequel est assis le ministre et de voir toutes les fenêtres: je suis forcément dans le cadre qui est sur la couverture de l’album, je ne peux pas faire autrement (…). Christophe était inflexible sur des petits détails, comme la présence d’un huissier, ou le fait qu’ils aient des cafés, ou pas. On les prend, et puis on fait les cadrages que l’on veut. Lui, il va diviser. Et moi, je vais beaucoup utiliser les mouvements de caméra. Et après, je ne suis plus du tout dans la même chose. »

Une part de défi?

« Je ne pense pas à ça. Je trouve cette BD formidable, mais ce qui me touche dans Quai d’Orsay, c’est ce qu’elle dit sur le monde du travail: ce ne sont que des gens qui bossent, du début à la fin, et j’y suis très sensible. Et puis, il y a la qualité des personnages, et des dialogues. Il y en a certains que l’on se citera entre nous comme on le fait de ceux de Coup de torchon. « La colonne de l’action, c’est l’urgence », ou « Tout est dans Héraclite », c’est formidable, je vais m’en régaler. Je pense à ça, et non aux problèmes d’adaptation. »

Le sentiment de vérité.

« Le monde des ministères m’était totalement étranger. Je m’y suis immergé, et j’ai essayé de comprendre comment ces gens travaillent, quelle était leur passion. Et je crois avoir réussi à faire un truc tenant de la comédie, de la farce, mais où il y a aussi une grande vérité. Jérôme Alméras, mon chef-opérateur, m’a dit: « Tu as amené leur vie autour de chaque personnage, tu ne peux pas t’en empêcher. » Cela tient à ma façon de filmer, j’y mets quelque chose qui fait que les personnages prennent une réalité à travers leur boulot et leur comportement. J’ai envie que le spectateur devienne proche des personnages. Pour moi, la mise en scène, c’est explorer des mondes que l’on ne connaît pas, puis découvrir un truc qui vous fait rire ou vous touche, et arriver à le faire passer au spectateur. »

La musique.

« J’ai demandé à Philippe Sarde que la musique épouse le point de vue de Raphaël Personnaz et non celui du ministre, qu’elle capture son énergie et soit très moderne, mais avec des éléments étranges dans l’orchestration (…). Cela l’a énormément excité. Sarde est bien plus qu’un compositeur, c’est l’allié d’un metteur en scène. Il a un regard formidable dans la salle de montage, et sait tout de suite vous indiquer le point qu’il y a lieu de travailler. Le premier jour de Quai d’Orsay, il m’a dit: « Il faut que tu aies tout le temps les yeux de Thierry Lhermitte. Si tu ne vois pas ses yeux, tu perdras la sympathie du personnage. »

Savoir s’entourer.

« Dans La suite à l’écran, que nous avons publié avec Thierry Frémaux chez Actes Sud, Jean Aurenche note: « La première qualité d’un metteur en scène, c’est de savoir créer chez ses collaborateurs, scénaristes, acteurs, techniciens, le désir de l’épater. » On n’a jamais rien écrit de mieux sur le metteur en scène. Il y a 150 manières de l’obtenir, c’est le fruit d’un rapport complexe où interviennent l’importance des gens qui travaillent avec vous et celle de votre propre vision. »

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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