Le renouveau des musiques psychédéliques
Panda Bear et Sonic Boom ont sorti un disque ensemble cet été. Les Black Angels sont de retour avec un nouvel album. Discussion autour de leur toute fraîche production et du psychédélisme au XXIe siècle…
Peter Kember avait déjà par le passé bossé sur plusieurs disques de Panda Bear. Mais en août dernier, Sonic Boom (son nom de scène) et Noah Lennox (comme le renseigne sa carte d’identité) sortaient digitalement Reset, leur premier album à deux têtes. Quand un ancien Spacemen 3 s’agite le ciboulot avec un membre d’Animal Collective, ce sont deux pans des musiques psychédéliques qui se rencontrent. Un groupe anglais des années 80 qui a provoqué l’essor du shoegazing et une bande de New-Yorkais expérimentalo-bordéliques au folk bricolé et halluciné qui ont viré synthés et pop digitale dilatée pour marquer de leur empreinte ces 20 dernières années.
Peter Kember a découvert le travail de Lennox via Person Pitch, album de Panda Bear qu’un pote lui avait fait découvrir en l’informant que les Spacemen 3 figuraient dans les remerciements. “C’est Peter qui a eu l’idée de Reset. J’habite à Lisbonne. Lui a bougé sur Sintra, à 30 kilomètres. Pendant son déménagement, il est retombé sur certains de ses disques préférés et il a réalisé qu’il y avait un truc, une force qui se dégageait des premières secondes de ces chansons. Il s’est mis à en faire des boucles, à s’en servir pour construire des morceaux, et il m’a demandé de chanter dessus.” “J’aime beaucoup la voix de Noah et ce qu’il en fait. Puis, c’était la première vague de la pandémie. Je n’avais vraiment personne d’autre à portée de main. Pas de plan B”, rigole Kember.
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Les deux hommes se connaissent depuis un bail et parlent énormément de cette passion dont ils ont fait leur métier. Lennox apprécie l’approche less is more de son comparse, son côté minimaliste, sa manière différente d’entendre la musique. Kember craque pour les mélodies et les harmonies de son complice. Sa quête d’espace. Sa propension à se diriger naturellement vers des endroits où lui ne s’aventure pas. “On a des visions différentes de ce dont une chanson a besoin, de là où elle doit aller. Mais on respecte énormément nos points de vue respectifs”, remarque Panda Bear. Sonic Boom embraie: “Il est important, je pense, de bosser avec des gens qui ne voient pas totalement la musique comme toi, qui ont d’autres perspectives. Parce que sinon, tu tombes dans une spirale d’autosatisfaction. C’est la même chose dans la vie.”
Reset est un album coloré et joyeux. “À la base, notre disque, on le faisait pour nous aider nous-mêmes. Mais on s’est rendu compte qu’il faisait du bien à ceux qui l’écoutaient. On a voulu que cet album parle de choses sérieuses mais de manière upbeat et positive. Qu’il remonte le moral dans l’ombre de tout ce qu’il se passe pour le moment. On voulait faire sourire les gens. Je n’avais jamais essayé ça avant. J’aime les recoins obscurs. Ici, il y a de la profondeur, de la liberté mais aussi en général un côté joueur et lumineux qu’on voulait vraiment projeter.”
Brouiller les frontières
Pour pouvoir commenter ce que représente le psychédélisme en 2022 ou plus largement en ce début de XXIe siècle, il faut commencer par le définir. “Le psychédélisme n’est pas tant un style de musique ou une esthétique qu’un état d’esprit. Une manière d’être. Une perspective peut-être sur la réalité, avance Panda Bear. Je ne peux pas en dire plus.C’est un terme nébuleux. J’ai entendu tant de gens en parler de tant de manières différentes que ça devient compliqué à définir pour moi. Peut-être est-ce simplement tout type de stimulus qui t’invite à sortir du fonctionnement quotidien, routinier, de ton cerveau ou de ton état esprit. Le psychédélisme est changeant mais le squelette reste le même. Ce sont les vêtements qui évoluent en permanence. Perso, je pense que de manière générale tout ce qui brouille les frontières entre deux choses rapproche de l’expérience psychédélique.”
“Il y a un tas de musiques psychédéliques différentes. Et c’est normal. Parce que l’expérience psychédélique est multiple. Très difficile à synthétiser et à définir. Elle se révèle extrêmement riche à l’intérieur comme à l’extérieur, poursuit Kember. Des genres qui n’ont pas grand-chose à voir a priori peuvent se retrouver sous ces étiquettes. Alice Coltrane, mais aussi, à l’autre bout du spectre, un membre de sa famille comme le producteur de musique électronique Flying Lotus. J’aime cette idée. Je pourrais aussi te parler de The Pharcyde, de son attitude et de son hip-hop psychédélique. Chaque genre a ses niches psyché. Le rock bien sûr, mais aussi le jazz, le rap, le blues, l’électro.”
Qu’est-ce finalement que la musique psychédélique? “Je ne sais pas si je suis la meilleure personne à interroger, répond Alex Maas, le chanteur de Black Angels. Disons que j’ai quelques théories. Je trouve déjà que la musique la plus psychédélique qui soit est la musique indigène. Celle de gens qui n’ont pas été influencés par la musique occidentale ni même orientale. Celle qui naît de la tribu, créée avec des instruments bizarres, juste des sons parfois. Internet répand la musique sur toute la planète et modifie les goûts des gens. Tu peux aisément aujourd’hui découvrir un tas de musiques indigènes. Moi, j’aime être influencé par ces sonorités et les travailler. C’est, je pense, l’avenir du psychédélisme. C’est vers ça qu’on se dirige, le retour aux traditions. Même la musique électronique vient de tout ça. Le didjeridoo est super électronique, par exemple. Pourquoi les musiques indigènes procurent cet effet? Parce qu’elles parlent à partir de l’âme, je pense.”
Avec ou sans drogue?
Écho au Velvet Underground (comme le nom du groupe), la chanson Icon fait référence à Nico. Là où Firefly a été inspiré par la pop française des années 60, psychédélique à souhait. Les Black Angels ont amené dans leur nouvel album Wilderness of Mirrors davantage de claviers et de mellotron. “J’en avais déjà utilisé pas mal sur mon album solo, Luca, fin 2020, poursuit Alex Maas. Nos chansons ont toujours été super bruyantes, avec beaucoup de fuzz, même si une ou deux pouvaient sonner plus calmes, plus acoustiques. On a davantage voulu embrasser ces sonorités. Je pense que tout instrument peut être psychédélique. Bien sûr, je pourrais te parler de sitar, d’harmonium, de mellotron. Mais en réalité, n’importe lequel peut l’être. Ça dépend de comment tu l’utilises et de tes intentions. C’est ça qui est primordial. Pas l’instrument en lui-même. Une guitare peut être très bluesy mais si tu y ajoutes de la reverb et du delay, ça devient directement autre chose…”
Il est plus difficile, comme le remarque Panda Bear, de rendre des mots psychédéliques. Même s’il espère que ses textes le sont. “Je pense aux Beatles et à I Am the Walrus, intervient Kember. Cette espèce de cut up semi-surréaliste. Ce morceau pouvait ressembler à de l’autodestruction, à un suicide commercial. Mais il a inspiré beaucoup de gens.”
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Peut-on aller loin dans le psychédélisme sans heurter monsieur et madame Tout-le-monde ou du moins leur déplaire? Sonic Boom a bossé sur le meilleur album de MGMT mais Congratulations n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. “Oracular Spectacular était déjà un disque très psychédélique mais c’est clair qu’on a poussé encore un peu plus le curseur.” “Peter a exactement fait ce qu’il devait faire, je pense, commente Maas. Mais c’était peut-être déjà trop pour les gens. L’accueil est différent d’il y a une quinzaine d’années. Le psychédélisme est devenu plus mainstream qu’avant. Tu t’en rends compte quand tu vois tous ces projets qui utilisent des tonnes d’effet. Mais nos groupes favoris ne deviennent jamais vraiment grand public.”
“Il y a un tas d’artistes qu’on peut qualifier de psychédéliques aujourd’hui. Et ces dix dernières années, tout ça a beaucoup évolué, note Sonic Boom. J’ai assisté au soundcheck hier d’un groupe afro-hip-hop portugais. Le mec chantait à travers des pédales de distorsion. ça sonnait comme de l’autotune en mieux. C’était psychédélique. Toutça pour souligner que c’est partout. Il faut dire que les drogues se sont répandues.”
Sans verser dans le cliché, on ne peut évoquer la musique psychédélique sans aborder les substances… “Certains artistes sont psychédéliques sans avoir jamais touché à ce genre de produit. Mais pour moi, ça a été une dimension importante.”
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Dans le film Drunk, des enseignants mettent à l’épreuve les théories d’un psychologue norvégien pour qui l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. L’idée qu’on a besoin d’une certaine quantité de bibine dans le corps pour se sentir normal et à l’aise avec les autres. N’en va-t-il pas de même avec l’herbe? Aurait-on besoin de son lâcher-prise pour totalement embrasser le psychédélisme? “Tu touches peut-être à quelque chose, sourit Maas. Plein d’idées sont taboues avant de se normaliser et d’être acceptées par la société. Les premiers pas, ce sont souvent des discussions comme celles qu’on mène ici. Mais perso, je ne lie pas la musique psychédélique à une quelconque drogue. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pense que la musique est la drogue. C’est ça l’idée. Je n’essaie pas de te filer une réponse au rabais. Il y a des groupes qui ne touchent à rien et qui font de l’incroyable musique psychédélique. Les pionniers devaient peut-être consommer pour ouvrir la porte, mais une fois que la porte est ouverte, elle l’est pour toujours.”
“Le psychédélisme n’a rien à voir pour moi avec le LSD ou un quelconque autre type de came, acquiesce Lennox. L’expérience de la vie est plus psychédélique que ça à mes yeux.” En attendant, Sonic Boom et Panda Bear vont filer une partie des profits de le leur album à MAPS, une organisation aux États-Unis qui utilise les substances psychédéliques et la marijuana pour la santé et le bien-être. “Elle a obtenu des résultats incroyables, approfondit Kember. Tu as des mecs qui n’arrivaient pas à se lever et nouer leurs lacets qui maintenant avancent, font des choses, aident des enfants. Des gens abîmés font des gens abîmés. Je suis né et j’ai grandi dans des villes, dans ces environnements qu’on finit par accepter mais qui peuvent nous rendre dysfonctionnels. Utiliser les psychotropes comme ils le font est très intéressant.”
Le phénomène psych fest
Alex Maas et ses Black Angels ont joué un rôle déterminant dans le retour en odeur de sainteté des musiques psyché. Grâce à leurs disques mais aussi à leur festival: l’Austin Psych Fest (rebaptisée depuis Levitation), qui a essaimé aux quatre coins du monde. “Quand on a lancé notre festival en 2008, on voulait créer un événement uniquement basé sur le rock psychédélique. Et quel meilleur endroit que notre ville, Austin (dont sont originaires les 13th Floor Elevators, NDLR)? C’était l’occasion pour nous de faire la fête avec ce genre de musiques et d’inviter tous nos groupes favoris à venir jouer pour nous. Ce qui peut sembler, je le reconnais, un peu égoïste. Le festival a pris de l’ampleur pour devenir quelque chose de bien plus grand qu’on l’avait imaginé. Personne n’aurait pu prédire que ça durerait aussi longtemps. Les festivals vont et viennent, naissent et meurent. Tu fais une mauvaise année qui te coûte un million de dollars et c’est fini. Ça aurait pu nous arriver. On repose vraiment sur les ventes de tickets. On n’est pas Coachella avec des gros investisseurs derrière.Mais la ville d’Austin et la communauté nous ont toujours soutenus.”
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Les Texans ont mis quelques années avant de se rendre compte que le concept essaimait. À Angers, ville avec laquelle Austin est jumelée, au Japon, à Bruxelles… “Je pense encore une fois qu’Internet a joué un rôle déterminant. Puis avec Black Angels, on tournait pas mal. On voyait du pays. On rencontrait des gens, on les invitait à notre événement. On a regardé ça grandir comme un enfant. Après, il y a aussi eu Vancouver, Chicago… On a un peu perdu le contrôle. Alors, ça peut s’écarter de ce que tu imagines à l’origine, mais c’était une progression naturelle. On a toujours brassé relativement large. Après, ça te renvoie à la question de savoir ce qui est psychédélique et ce qui ne l’est pas? Est-ce que le Wu-Tang est psychédélique? Peut-être bien que oui, en fait.”
Noah Lennox parle du psychédélisme dans les jeux vidéo indépendants. Alex Maas évoque sa présence dans le cinéma et la littérature. “Les gens le comprennent plus facilement avec les yeux qu’avec les oreilles. D’autant qu’aujourd’hui, ils ont vite tendance à zapper. Ça ne fonctionnait par comme ça par le passé quand on lançait un vinyle ou un CD. On a toujours porté beaucoup d’attention à l’aspect visuel de la musique. Dans nos pochettes, mais aussi dans nos projections sur scène. On essaie de toucher tous les sens.”
L’époque, multimédia et inquiétante, semble propice. “Dans cette culture, les gens sont attachés à l’idée de découvrir la vérité, de se libérer de la négativité, de s’abreuver d’information. Ça dit quelque chose d’eux, de nous. Parce qu’en tant qu’être humain, j’ose espérer m’éduquer.”
The Black Angels, Wilderness of Mirrors, distribué par Partisan/Pias. ****
Panda Bear & Sonic Boom, Reset, distribué par Domino/V2. ****
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