Le regard de Pablo au festival Listen!

Axel Libeert (ici avec la violoniste/guitariste Baum) réveille son projet collectif Pablo's Eye pour le festival Listen!: "Remuer le passé ne m'intéresse pas beaucoup."
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Du 17 au 21 avril, le festival Listen! fera rayonner les musiques électroniques sur Bruxelles. Avec notamment le retour du groupe culte Pablo’s Eye, relancé à la faveur d’une série de rééditions éblouissantes.

On commence par s’excuser. Si, officiellement, Pablo’s Eye fête ses trois décennies d’existence cette année, on a découvert sa musique il n’y a que quelques mois à peine -à la faveur, qui plus est, d’une chronique publiée par le webzine américain Pitchfork.  » Oh, je ne vous en veux pas. Ça fait une vingtaine d’années qu’on n’avait plus vraiment sorti quoi que ce soit. » Aux manettes du collectif bruxellois, Axel Libeert n’est manifestement pas du genre à s’offusquer. Encore moins à la ramener.  » Je ne suis demandeur de rien« , sourit-il, s’excusant presque de parler « autant » de lui, même si c’est pour cela que l’on est venu. Au bout d’une grosse heure de discussion, il ne demande pas, comme la plupart,  » quand » sera publié l’article, mais bien « si », et,  » au cas où », si l’on a besoin éventuellement de visuel. Une demi-heure plus tard, le fichier photo est là: la violoniste/guitariste Baum, alias Hendrike Scharmann, au premier plan; lui, en retrait, les yeux clos.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vendredi prochain, ils joueront au festival Listen!. C’est un peu inattendu. En vrai, ce n’était même pas censé arriver. « Hormis des premières parties de Front 242, Pablo’s Eye n’a jamais donné de concert« , s’amuse Axel Libeert. Tout cela est un peu la « faute » de Ziggy Devriendt, alias Nosedrip. À la tête du label Stroom, le DJ/digger s’échine depuis 2016 à documenter une certaine scène musicale électronique parallèle, toujours un peu bizarre, toujours un peu rêveuse, jamais très loin des évasions ambient. Logiquement, il a donc contacté Axel Libeert pour lui proposer de ressortir une sélection d’enregistrements de Pablo’s Eye.  » J’ai commencé par refuser. Remuer le passé ne m’intéresse pas beaucoup. » Nosedrip n’est toutefois pas le seul à se manifester.  » Ces dernières années, on a eu plusieurs demandes. Au début, je ne comprenais pas pourquoi tout ça arrivait tout à coup. Et puis, le franc est tombé: Discogs. » Sur la base de données musicales, le prix des disques de Pablo’s Eye s’envole…

Au même moment, Music From Memory, autre label, tout aussi élégant et fouineur, basé à Amsterdam, se penche lui sur Nightfall In Camp, projet antérieur d’Axel Libeert. Il souhaite inclure l’un de ses titres – Cada Dia– dans une compilation intitulée Deviant Pop From Europe 1981-1990. Libeert finit par accepter. Et Ziggy Devriendt de revenir alors à la charge.  » Vous l’avez déjà rencontré? C’est quelqu’un de très intense… » Les deux se mettent d’accord sur une série de trois compilations – Spring Break, Bardo For Pablo, et Dark Matter– pour trois facettes du projet.  » Au début, je ne comprenais pas ce qu’il faisait. Mais je lui ai fait confiance. Finalement, j’ai été surpris d’apprendre des choses sur moi-même. »

Radio gaga

Il y a tout un monde dans la musique de Pablo’s Eye, flottante, émouvante, adepte du flou évocateur. Difficile à décrire? En 1994, à la sortie de You Love Chinese Food, leur « blockbuster », loué dans la presse internationale, le journaliste Paul Schütze l’écrivait dans The Wire:  » Les qualités qui en font un si bon album sont aussi, malheureusement, celles qui rendent très compliqué d’écrire dessus. » Tout de même, il se lance:  » Imaginez-vous en train de suivre les programmes radio d’une culture parallèle mais inconnue, qui a intercepté votre fréquence et picoré des fragments de vos propres émissions, mais sans s’embarrasser le moins du monde du contexte… »

De fait, Pablo’s Eye a toujours eu une vision très ouverte. Les rencontres, la découverte des autres cultures ont façonné le parcours d’Axel Libeert, dès son arrivée à Bruxelles, comme étudiant.  » J’ai grandi dans la région de Courtrai. Quand je suis venu étudier l’audiovisuel au RITS, je découvrais tout un nouveau monde. À l’époque, l’école partageait encore les bâtiments avec l’INSAS. On se retrouvait à la cafétaria, où je croisait des étudiants francophones venus d’Afrique, de Palestine, etc. » Un peu plus tard, à 25 ans, il se retrouve dans le New York glauque et déglingué du début des années 80.  » Je logeais dans le Lower East Side, je partageais un appartement avec Fred Frith« , guitariste expérimental avec qui il fréquente toute la scène avant-gardiste de l’époque, de John Zorn aux membres de Sonic Youth.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Ce goût de la recherche, il va le ramener, et ne plus cesser de le cultiver. Dans le même temps, il continue toutefois à composer pour des commandes bien précises -musiques de documentaires, films, publicités, etc.  » L’art appliqué ne m’a jamais dérangé. Mon père fabriquait le lin dont on se sert pour confectionner les toiles des tableaux. Il était d’ailleurs très proche des peintres. Il m’a toujours appris que, même si son travail n’était pas de l’art, il était important. » Dans les années 80, Axel Libeert est ainsi invité à prendre part au projet européen Eureka, initié par Mitterrand. « Vous vous retrouvez à travailler avec des gens qui ont une vision politique. Ils vous disent par exemple de ne pas trop travailler avec des synthés parce que ça fait « gadget » japonais; mais de ne pas non plus utiliser des instruments classiques, pour éviter que l’on parle de nouveau de la vieille Europe. Tout ça est super intéressant. »

Au début des années 90, c’est la musique pour un documentaire sur le surf qui accroche l’oreille de Jill Sinclair, la femme de Trevor Horn. Le producteur anglais est notamment responsable du succès de Frankie Goes to Hollywood et d’Art of Noise. Avec le journaliste Paul Morley, ils ont fondé le label ZTT.  » J’étais fan absolu de Morley. Il avait une plume fantastique, très à gauche. Il réussissait à parler de Baudrillard ou Camus dans des papiers sur des groupes de rock. » Engagé par ZTT, Axel Libeert s’installe donc à Londres et reçoit son premier sampler. Il a pour mission de tenter de nouvelles choses pour une branche plus expérimentale du label.

Après six ans, il finira par rentrer à Bruxelles. Plus que jamais, Pablo’s Eye est alors un collectif à géométrie variable: on y retrouve notamment, derrière le micro, Marie Mandi, le guitariste Thierry Royo, ou encore, pour les textes, l’écrivain anglais Richard Skinner. Chacun est assez libre. À Axel Libeert de collecter et assembler toutes les pièces du puzzle que constitue la discographie rêveuse du groupe.

Au début des années 2000, le musicien sent toutefois le vent tourner.  » C’était le boum du téléchargement illégal. Ce qui avait quelque chose d’assez excitant. Mais j’ai aussi vite compris que ça signifiait la fin d’un cycle. Quand je passais dans les maisons de disques, ils étaient tous dévastés. » Pablo’s Eye rentre donc en hibernation. Axel Libeert se replonge dans son carnet de commandes. L’an dernier, par exemple, il réalisait encore la bande-son d’une installation à la Tate Modern de Londres.  » Je n’ai jamais été frustré de travailler pour d’autres. » Il ne semble pas plus disposé à râler contre le développement technologique .  » Un outil comme GarageBand (programme de composition musicale sur Mac, NDLR) est une invention formidable. Je connais tellement de jeunes femmes qui étaient peut-être un peu rebutées par le monde macho des musiciens -les magasins d’instruments, c’est souvent un peu comme l’atelier d’un garage de voitures-, et qui ont commencé à faire de la musique grâce à GarageBand. »

Aujourd’hui relancé, Pablo’s Eye n’a toujours rien de l’entreprise passéiste. Avec le regain d’intérêt de ces dernières années pour l’ambient, sa musique rêveuse reste même plus que jamais pertinente. Au moins autant que son mot d’ordre: celui d’une musique qui se pencherait sur la question du  » nationalisme vs mobilité; de l’intolérance vs diversité; de la communication globale vs les impératifs locaux« . Pablo’s Eye, les yeux grands ouverts…

Pablo’s Eye: le 19/04, au festival Listen!, aux Brigittines, Bruxelles.

Tony Allen & Jeff Mills
Tony Allen & Jeff Mills

Listen to the city

Ses acteurs le savent bien, la vie culturelle nocturne est rarement un long fleuve tranquille. Ces dernières semaines, les mauvaises nouvelles se sont toutefois accumulées. À commencer par la saga du Kompass. Élu à l’automne dernier « meilleur club » de Belgique, lors des Red Bull Elektropedia Awards, l’enseigne gantoise a vécu un début d’année complètement chaotique. Le décès d’un collaborateur, en partie dû à la prise de drogues, a ainsi amené le nouveau bourgmestre de Gand à ordonner sa fermeture pour une durée de quatre mois. Une sanction que le club s’est empressé de contester au Conseil d’État -avançant notamment le fait qu’il a toujours collaboré étroitement avec les services de police, jusqu’à livrer directement plusieurs dealers. Fin mars, la juridiction a fini par annuler la décision de l’élu Open Vld. Le Kompass a ainsi pu rouvrir vendredi dernier. Dans le même temps, les discussions avec les autorités communales ont repris, visiblement dans un esprit constructif. Mais la pression est bien maintenue.

À Anvers aussi, les dernières actualités n’étaient pas rassurantes pour ceux qui pensent qu’une ville (une métropole!) vit aussi après minuit. Le bourgmestre De Wever a ainsi décidé de suspendre les autorisations d’exploitation du complexe De Shop, qui abritait notamment le club Vaag et le Roxy, suite à des plaintes de voisinage. Et ce n’est pas tout: après 30 ans de service, le fameux Café d’Anvers, enseigne house parmi les plus mythiques du pays, a annoncé la semaine dernière sa fermeture définitive. Un véritable coup de tonnerre.

Corps avec la ville

Il y aurait donc quelque chose de pourri au royaume des clubbers? Comme souvent, il faut nuancer. À Bruxelles, par exemple, c’est un tout nouvel endroit qui s’ouvre ce vendredi. Plantée dans un coin excentré de la capitale, dans une commune -Watermael-Boitsfort- pas franchement réputée pour sa vie nocturne délirante, la Cabane fait le pari d’un micro-clubbing (300 à 400 personnes) chaleureux et intimiste. Derrière l’initiative, on retrouve le label Play Label Records, actif depuis un moment dans la capitale.

Motor City Drum Ensemble
Motor City Drum Ensemble

Les enseignes plus classiques tiennent bon également. En tout cas quand elles s’adaptent à l’époque. Alors qu’il fête ses 25 ans, le Fuse montre par exemple qu’on peut durer, à condition de se renouveler. Il l’a fait en lançant son propre mini-festival, le Crossroads, fin juin, en bord de ring. Plus récemment, il a rameuté la grande foule en organisant une maxi-bamboule dans le tunnel de la Porte de Hal, à l’occasion de sa réouverture.

C’est d’ailleurs peut-être une des clés du clubbing actuel: réussir à trouver sa place dans la ville, en faisant véritablement corps avec elle, en l’investissant. Si la vie culturelle nocturne doit raconter une histoire, ce serait en effet d’abord celle du lieu dans laquelle elle prend racine. C’est a fiortiori le cas du C12. Installé à quelques mètres de la Grand-Place, niché en dessous de la Gare Centrale, il est l’une des plus belles success stories de ces dernières années. Alors qu’il vient de souffler sa première bougie, le club a directement su trouver son public. Dans un autre genre, on peut aussi évoquer Kiosk Radio. Endroit idéal pour prendre l’apéro, en fin de journée, la webradio distille ses mix pointus depuis son QG, installé dans le Parc royal. Et en mettant l’accent sur les forces vives locales.

Convier des grosses têtes d’affiche ne suffirait donc plus. Il faut aussi oser s’appuyer sur sa communauté et proposer un « récit » personnel, lié à un endroit, un lieu, une ville. Tout cela, le festival Listen! l’a, semble-t-il, bien intégré. Depuis le départ, il a décidé de faire de Bruxelles un acteur essentiel de son affiche musicale électronique. Il y a trois ans, programmé dans la foulée des attentats, ce pari a failli lui être fatal, dès sa première édition. Les organisateurs se sont pourtant accrochés. Aujourd’hui, Listen! est devenu l’un des événements incontournables de l’année. Pour cela, le festival peut compter à nouveau sur quelques belles têtes d’affiche internationales -Tony Allen & Jeff Mills, Motor City Drum Ensemble, Helena Hauff, Andrew Weatherall, etc. Mais il mise aussi plus que jamais sur la scène locale: dès le jeudi avec un « circuit » étalé sur plusieurs endroits du centre, mais aussi dans une programmation plus générale, qui fait la part belle aux talents d’ici. Ou comment une ville qui ressemble souvent à un grand chantier peut se transformer en terrain de jeu électronique…

Au programme

Quand? Du 17 au 21 avril.

Où? Si Listen! se disperse un peu partout dans la ville, il plantera son QG aux Halles Saint-Géry. En journée, c’est là que les amateurs trouveront toutes les infos sur le festival. Ils pourront aussi assister à des conférences, workshops, expos, émissions radio, ou encore à l’Independent label market.

Quoi? Sans commencer à tout détailler, voici quelques points forts de la programmation. Dès le mercredi 17, Flagey accueillera la soirée d’ouverture (complète), rassemblant sur une même scène Tony Allen & Jeff Mills. Le lendemain, un circuit gratuit proposera une série de show-cases, répartis dans sept endroits différents, de la Tour à Plomb au Kanal-Pompidou. Les trois grosses soirées du festival auront lieu au C12, vendredi, samedi et dimanche (veille de lundi de Pâques férié). Avec notamment les têtes d’affiche précitées, mais aussi Kamaal Williams, Maurice Fulton, Lefto, Shackleton… Ajoutez à cela quelques « extras », laissés aux soins de curateurs locaux -Stroom (aux Brigittines), Rebel Up (au VK), le Bureau électronique (La Vallée), et Gay Haze/Spek (Quay01)-, et vous aurez de quoi remplir les oreilles tout un long week-end.

www.listenfestival.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content