Le rap cinématographique d’El Michels Affair: « J’aime cette idée de prendre un vieux truc pour le rendre totalement nouveau et frais »

Leon Michels (à l'arrière-plan): “On va donner quelques concerts ensemble aux états-Unis mais pas des masses. Black Thought (à l'avant-plan) est un mec super occupé.” © Sesse Lind
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pilier de la soul new-yorkaise, le producteur, multi-instrumentiste et patron de label Leon Michels fait équipe avec un Roots en vacances (Black Thought) le temps d’un album de rap cinématographique.

Petite incompréhension dans les fuseaux horaires. Leon Michels, de El Michels Affair, est en retard et s’excuse. Il n’est pas chez lui, Upstate New York, au moment de notre entretien. Il est à Nashville où il bosse avec Dan Auerbach des Black Keys. Leon est un mec occupé. Crédité 482 fois sur Discogs. Le CV déborde. Il renseigne Aloe Blacc, Hanni El Khatib, Norah Jones, les Black Lips, Ghostface Killah, émilie Simon, Lana Del Rey… Mais aussi surtout la fine fleur de la soul vintage: Sharon Jones, Lee Fields, Charles Bradley, le Menahan Street Band. “Oui, je dors parfois. Ne t’inquiète pas. C’est juste que je travaille la musique tous les jours de 9 heures à 17 heures. Ça t’offre un paquet de temps pour créer des choses intéressantes.

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Fils d’une autrice et d’un peintre, Leon Michels est né en 1982. Il a débarqué à New York à 10 ans. Il a grandi dans l’East Village et à 17 piges, il tournait en Europe avec Sharon Jones. Il venait de rencontrer Gabriel Roth et Philippe Lehman, les boss du label Desco. “Le pote plus âgé d’une petite amie était dans le grafitti. Il connaissait Philippe qui était lui-même graffeur (connu sous le nom de Bando, NDLR). À l’époque, j’avais un groupe. Je lui ai filé une démo. Une reprise de Get on the Good Foot de James Brown et une autre de Ease Back des Meters. Il m’a proposé de passer une semaine plus tard dans son studio.

Le jeune Michels a été à bonne école. Roth et Lehman l’ont pris sous leurs ailes d’esthètes. “On était les gamins de la scène. Philippe nous concoctait des cassettes avec des 45 tours de funk. Il nous nourrissait. On était si jeunes et impressionnables qu’on était à fond dedans. Ils pouvaient nous modeler. Et c’est ce qu’ils ont fait.Très vite, Leon rejoint les Soul Providers, le groupe de Sharon Jones, au saxophone. Quand j’étudiais le jazz à l’université, une incroyable perte d’argent, je me souviens être allé voir mon conseiller parce que je devais partir sur la route avec Sharon et les Dap-Kings. Il m’a demandé si je ne pouvais pas le brancher et proposer ses services.

Lorsque Desco s’est éteint, que Roth et Lehman ont pris leurs distances pour créer Daptone et Soul Fire, Michels était des deux camps. “J’ai vite compris que j’adorais être en studio. C’est là que je prenais le plus de plaisir avec la musique. J’ai donc toujours prêté attention à ce que faisaient Gabe et Philippe quand ils enregistraient. Un jour, ils m’ont donné un reel-to-reel recorder: un Tascam 388. J’ai ramené ça à la maison et je me suis mis à faire de la musique dans ma chambre.” C’est devenu le premier El Michels Affair: l’album Sounding Out the City (2005). Plus que sur sa propre musique, Leon a longtemps bossé sur celle des autres. Lorsque Lehman est parti dès 2003 s’installer en République dominicaine, il lui a filé les clés de son studio de Williamsburg. “Il m’a dit: « Si tu peux payer le loyer, le studio est à toi. » Donc on en a en quelque sorte hérité Jeff Silverman et moi. Et on a lancé le label Truth and Soul. On n’avait pas d’argent mais on avait un labo. Donc, on a commencé à sortir des 45 tours et à faire des disques.

© National

Notamment avec Lee Fields, le James Brown de poche. Roth et Lehman l’avaient trouvé grâce à l’annuaire téléphonique. “Il n’y en avait que trois à Jersey. Ils ont appelé jusqu’à tomber sur le bon. J’ai fait ça aussi avec différents chanteurs. Tu regardes juste les infos sur des vieux disques et tu tentes ta chance. Ça marche parfois.

Obsessions

Pendant une dizaine d’années, Truth and Soul fut l’un des cousins de Daptone. “Au début, c’était un peu étrange. J’étais très proche de Gabe et j’ai lancé mon propre label. Il me disait: “Tu pourrais sortir tes trucs chez nous”. Ils avaient l’infrastructure et l’argent. Mais mes goûts évoluaient. Je sortais un peu du cadre. Je voulais quelque chose de différent. Daptone était vraiment branché soul traditionnelle et fabriquait des disques comme on les faisait en 1969. Moi, j’aime la soul mais je suis aussi branché hip-hop. Je n’étais pas un puriste. J’utilisais un ordinateur. Stylistiquement parlant, je m’écartais un peu.

Pas du genre à enchaîner les disques pour enchaîner les disques, Leon Michels a beaucoup douté de lui après Sounding Out the City. “Je n’avais pas l’impression que je pouvais faire aussi bien. Ce qui est con mais arrive souvent. Puis, je partageais mon studio. Et financièrement, je n’étais pas aussi à l’aise que maintenant. Je me suis surtout assuré pendant un temps de pouvoir vivre de la musique. Ce qui signifiait produire des disques pour d’autres gens.” Du coup, El Michels Affair a juste joué pendant deux albums avec la musique du Wu-Tang Clan, jusqu’à ce que Leon cofonde un autre label: Big Crown. Il y publie deux albums, Adult Themes et Yeti Season, dans un élan de liberté. Le premier affectionne les B.O. de films européens des années 60 et 70, celles de François de Roubaix, de Bernard Estardy ou de Francis Lai. Le second joue avec le funk turc et la soul indienne. “Pour El Michels Affair, c’est comme ça que ça se passe, par obsessions. Pour les chanteurs, l’inspiration vient souvent des expériences de la vie. Tu écris une chanson parce que tu veux partager un truc, raconter quelque chose. Mais pour moi, elle vient clairement d’autres musiques.

Leon a rencontré Tariq Trotter, alias Black Thought (The Roots), par l’intermédiaire de Dave Guy, le trompettiste des Dap-Kings. Ils ont même participé ensemble à quelques actions caritatives. “Dave a rejoint les Roots pour le Tonight Show de Jimmy Fallon et il nous a présentés. On a jammé ensemble mais jamais avec l’idée d’enregistrer un disque. Pendant la pandémie, Tariq essayait de s’occuper et m’a demandé si je pouvais lui envoyer de la musique. J’ai commencé à lui balancer des sons et il me répondait quelques heures plus tard avec des textes dessus. J’ai donc continué à l’approvisionner.” Succédant à l’album de Black Thought avec Danger Mouse, Glorious Game est un disque irrésistible de hip-hop aux ambiances soul et cinématographiques. “C’est autant un disque de soul qu’un album de rap. J’aime cette idée de prendre un vieux truc, un truc que tes parents écoutaient, pour le rendre totalement nouveau et frais.

El Michels Affair & Black Thought, Glorious Game ****, distribué par Big Crown/Konkurrent.

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