Le portrait de Mavis Staples: une voix, une force, une conviction
Ce 7 juin, l’une des voix afro-américaines majeures interprète son répertoire historique à l’AB. Des hautes vibrations, également présentes sur le puissant nouvel album que Mavis Staples partage avec feu Levon Helm, de The Band.
L’Histoire de la musique black US a davantage retenu de son plantureux catalogue les hommes que les femmes. Oui, malgré les statuesques Aretha Franklin ou Billie Holiday, l’impression ne semble pas s’être dissipée. En 2022, on parle davantage du “gamin” Gregory Porter (1971) que de Dionne Warwick (1940), de Diana Ross (1944) ou de l’aînée Mavis Staples (1939). Depuis plus de 60 ans, cette dernière propulse la musique noire américaine à ses sommets les plus saillants au fil d’une tradition où gospel, blues et soul flirtent ensemble. Échangeant une proximité d’autant plus émotionnelle que le tissu musical se dessine dans la dure lutte pour les droits civiques. Un paradigme qui ne cesse de se répéter. Dans les musiques évidemment, mais tout autant dans les films, les séries, les romans ou les documentaires. Un vaste paysage où la musique noire impressionne depuis près d’un siècle, sublimée par ses sagas individuelles. Plutôt tendance mélodrame.
Pour peu, la bio de Mavis Staples, 83 ans ce 10 juillet, ferait figure de CV feel good. Pour une simple et bonne raison: Mavis est toujours vivante et continue à parcourir le monde en concert et de produire des disques toujours vibrants. Alors que les femmes noires de sa génération semblent avoir été, pour la plupart, gommées de toute visibilité publique.
Dylan Knock Out
Le destin des Noirs américains n’a jamais été rose. Mavis serait donc l’une des exceptions confirmant la règle. Celle-ci se conjuguant en famille et à l’église, ce centre nerveux de la culture afro-américaine. Quiconque a jamais assisté à une messe gospel US, y compris dans des sanctuaires de quartier, a pigé que cette musique dépasse tous les murs du son. Également pour les gens qui ne croient pas en Dieu. C’est un peu la recette innée de Mavis Staples: une voix, une force, une conviction ignorant les genres. Apte à séduire autant les auditeurs biberonnés à la soul vintage que les moins de 30 ans, un rien sensibles. Ce n’est pas si compliqué d’aimer Mavis: lorsqu’elle entre dans une chanson, le sentiment reste le même, celui d’une voix qui va empêcher le Titanic de s’abîmer dans la mer glacée.
Mais encore? Pas de musique réelle sans ancrage. Celui de Mavis est une famille connue sous le nom de The Staple Singers. Qui omet le “s” final du nom civil officiel et va placer, surtout dans les années 70, une série de succès commerciaux soul, arrivant aussi dans les classements pop (donc plus blancs) du Billboard. I’ll Take You There, Let’s Do It Again et bien évidemment, le classique Respect Yourself. Lorsque ce disque-là sort en octobre 1971, le mouvement Black is Beautiful touche à son zénith culturel. Mais la réalité, tellement bien chantée par Marvin Gaye à l’époque, est moins fière. Les ghettos noirs perpétuent la dérive, de spasmes sociaux en violences, de Black Panthers et mauvais scénarios FBI en guerre du Viêtnam. Où les jeunes Noirs -merci Kennedy, Johnson et Nixon- fournissent une bonne part de la chair à canon. C’est le sens de la chanson signée par Stax Records, bouclée aux studios Muscle Shoals, en Alabama, connus pour leur fameuse section rythmique: si vous ne réclamez pas le respect de votre race, de vos convictions, de votre talent, l’Amérique -blanche- ne vous donnera rien de tout cela. Chanson éminemment politique glissée dans le miel vocal soul-gospel où le chant est partagé entre l’aîné du groupe, Pops, et Mavis, qui impressionne dans son lead royal. Le titre, devient même un plus grand tube encore -numéro 5 au Billboard Top 100- grâce à l’interprétation en 1987 de… Bruce Willis. Elle sera également utilisée, entre autres, dans la B.O. du Crooklyn de Spike Lee en 1994. Avec sa fratrie des Staple Singers, Mavis inspire ceci à Bob Dylan qui, dans une rare interview, en 2015, parle sans restriction: “Ce groupe était la chose la plus mystérieuse que je n’avais jamais entendue. J’étais à l’école… Mavis semblait avoir le même âge que moi… Sa façon de chanter m’a mis K.-O.”
Bienvenue vieillesse
En 1978, les Staple Singers se retrouvent dans le film documentaire de Scorsese, The Last Waltz, qui capte la dissolution du groupe canadien The Band fin 1976, via sept caméras 35 mm lors d’un concert au Winterland de San Francisco. La présence des membres du groupe afro-américain, seuls Blacks de la soirée avec Muddy Waters, témoigne encore une fois que leur musicalité va au-delà du seul champ soul-gospel. Mavis formera bien des années plus tard d’ailleurs avec Levon Helm, leader de The Band décédé en 2012, un duo puissant post-mortem sur l’album récemment paru Carry Me Home.
Lorsque se termine l’aventure de la formation familiale, au milieu des années 90, Mavis Staples est la seule à tirer son épingle du jeu. Dernière survivante d’une saga certifiée, bénéficiant d’une nouvelle jeunesse -ou d’une bienvenue vieillesse- au fil des années 2000, elle se retrouve au centre de Mavis!, documentaire de 2015 réalisé par la Canadienne Jessica Edwards, auréolé d’un Peabody Awards, récompensant les meilleures productions radio et télé américaines. La chanteuse passe ensuite dans le Late Show de Stephen Colbert et au CBS This Morning, grand-messes télévisées. Elle se retrouve aussi en 2021 dans le film Summer of Soul, dans lequel on la voit en compagnie des Staple Singers et de Mahalia Jackson, performeurs au Harlem Cultural Festival de 1969. Beaucoup de références pour une artiste couverte d’honneurs. Par exemple, avec les Staple Singers, elle est inscrite au Rock and Rock Hall of Fame en 1999, introduite par Lauryn Hill. Elle figure encore à la 56e place des plus grandes chanteuses de tous les temps selon le magazine Rolling Stone. Ce qui est sûr, c’est que ce prochain soir de juin à l’AB, puisant dans son répertoire d’une trentaine d’albums, en solo ou avec les Staple Singers, l’Histoire semble devoir être au rendez-vous.
Le 07/06 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.
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