Laurent Raphaël
La culture en miettes
L’édito de Laurent Raphaël
La culture est-elle le dindon de la farce néo-libérale? Paie-t-elle les pots cassés des traders sans foi ni loi? Même si par beau temps les acteurs et institutions qui battent le pavé artistique n’ont droit qu’aux miettes (moins d’1% des budgets des Etats en Europe), la tentation est grande de leur faire encore les poches quand le ciel se couvre. Après tout, la culture ça ne se mange pas! Des pays touchés de plein fouet par la crise comme la Grèce ou contaminés par le virus nationaliste comme la Hongrie ont décidé d’allonger à l’eau une soupe déjà transparente. On parle de réductions des subsides de 22% en 2011 pour la première, d’un tiers dans certains secteurs clés pour la seconde. A ce régime pain sec-là, tous les artistes grecs et hongrois seront bientôt convertis de force aux arts de la rue…
Mais le tableau n’est pas aussi sombre qu’une toile de Goya. Comme le rappelait Le Monde récemment, l’Europe, qui ne chante décidément jamais à l’unisson, se divise entre ceux qui sacrifient les arts sur l’autel de la récession (Italie, Grande-Bretagne, Pays-Bas…) et ceux qui tentent de sauver les meubles du patrimoine (France, Allemagne ou Suède). Mais dont les digues et les beaux discours pourraient ne pas résister à un nouveau séisme budgétaire. La Belgique se situe quant à elle dans le milieu du peloton, pour autant du moins qu’on puisse en juger, la culture, mosaïque institutionnelle oblige, étant une matière dispersée entre le fédéral et les communautés. Sur le papier, comme le soulignait La Libre dans son tour d’horizon des grands enjeux 2012, le pays navigue entre gel des budgets (et même légère hausse au sud) et perspectives de rationnement avec dommages collatéraux prévisibles (plutôt au nord).
Au-delà des chiffres, essentiels pour assurer la survie économique du tissu culturel, on peut se réjouir que les anneaux gastriques imposés à la culture n’affectent pas l’appétit du public. Même si on ne dispose pas de données récentes (en Belgique et en France, les dernières études d’envergure sur les comportements culturels remontent à 2009 et 2008), les tendances de fond relevées alors, et qui ne semblent pas s’infléchir, bien au contraire, confirment que nos contemporains ne se font pas prier pour profiter de l’offre culturelle « standard » existante (comme avant, mais avec plus d’assiduité encore, à l’image du succès toujours croissant des mecques artistiques comme le Louvre ou Versailles) ni pour explorer de nouveaux horizons ludiques (un phénomène plus récent). Ce qui se traduit notamment par un boom des pratiques culturelles amateurs: de l’ado qui tripote sa gratte dans sa chambre au quinqua qui bouffe du DVD à la chaîne en passant par le trentenaire qui bidouille des samples sur son Mac.
Sur le long terme, une boulimie qui profite à tout le monde (en termes de fréquentation des cinémas, concerts, expos…), sauf au temps de sommeil et à la lecture. Si les gouvernements tentés de ramasser les miettes n’entendent pas la voix de la raison, peut-être entendront-ils celle du peuple…
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