Serge Coosemans

Le nouveau Bob Dylan poste des photos d’enfants du Bengladesh sur Instagram

Serge Coosemans Chroniqueur

La prochaine révolution ne démarrera pas en chanson, car la musique n’est plus le vecteur idéal pour transmettre des idées insurrectionnelles, nous baratine Serge Coosemans, en mode  » grosses théories de sous le sapin  » et « conversation de réveillon entre rock-critics prépensionnés « . Sortie de Route, S04E16.

Il est assez troublant de penser que dans un pays né à la suite d’une révolution ayant démarré à l’opéra et dans une époque aussi globalement pré-insurrectionnelle que la nôtre, ce sera un Tweet et non pas une chanson qui fichera la prochaine fois le feu aux poudres. C’est une énième théorie de comptoir entièrement sucée de mon pouce mais peut-être n’est-elle pas dénuée de fondement, même si la prochaine révolution pourrait aussi très bien démarrer à la suite d’une chanson de Stromae. Ou du Grand Jojo. Ou des Snuls. Ou du Godwin Remix d’une marche de la Wehrmacht, tiens, vu que l’extrême-droite est tout de même en pool position pour le Grand Soir.

Le temps de cette chronique, jouons toutefois le jeu de ne pas y croire. Défendons l’idée que la musique, la plupart des musiques, n’a plus aucune capacité à véhiculer un message révolutionnaire. C’est la suite logique de ce que je baratinais la semaine dernière : en gros, entre 1950 et 2000, entre Chuck Berry et Napster, la musique a été la culture dominante qui a défini les fantasmes de bon nombre de jeunes, a influencé leurs enjeux identitaires et sociaux, les a agité dans un emballement (pseudo)-révolutionnaire ou réactionnaire, transgressif ou militant. Mais c’est fini : l’industrie musicale s’est écroulée et elle n’a plus la force de placer la musique au centre du package identitaire. Beaucoup de jeunes s’excitent désormais sur les apps, la bouffe, les fringues, les chaussures, les réseaux sociaux, la télé-réalité mais plus sur la musique, qui se consomme aujourd’hui par beaucoup (pas tous) avec la même facilité et le même détachement qu’un bol de céréales. Ce que j’avance là ne s’applique toutefois pas au rap de banlieue, au métal et à certaines sous-cultures musicales sectaires -dont The Voice et la Star Ac, haha-, où l’enjeu identitaire reste primordial.

La duru0026#xE9;e de vie d’un morceau, d’un album, d’un artiste mu0026#xEA;me, u0026#xE9;quivaut du0026#xE9;sormais u0026#xE0; celle d’une bou0026#xEE;te de cu0026#xE9;ru0026#xE9;ales, d’un rouleau de PQ, d’un gel douche.

En fait, c’est surtout dans la musique que j’écoute moi, que la durée de vie d’un morceau, d’un album, d’un artiste même, équivaut désormais à celle d’une boîte de céréales, d’un rouleau de PQ, d’un gel douche. Dans la surabondance du rock garage, du psyché et de la techno, tout est devenu assez interchangeable, presque générique. Le produit blanc équivaut la qualité premium et l’aspect identitaire est limité à sa plus simple expression. Que j’ai aimé cette année les Useless Eaters ou Mountain Bike ne fait pas de moi un hipster, un rockeur ou un type au taquet. Ca montre surtout que j’aime la musique brouillonne, gueularde, directe (3 accords ou 3 boucles, sinon c’est du jazz!) et qu’on peut me vendre à peu près n’importe quoi dans le genre. Un genre où s’agitent tout un tas de groupes, 13 à la douzaine, qui chipotent généralement 2 ou 3 ans avant de disparaître sans émouvoir, puisqu’il y a bien assez de clônes pour combler la demande. C’est pif-paf l’idée du bol de céréales : quand il n’y a plus de Chocapic, les Coco Pops font très bien l’affaire et puis, les Honey Smacks ou les Weetos, c’est pas mal non plus. L’idée du bol supplante même l’idée de céréale : on bouffe ça au petit-déjeuner parce qu’on n’aime pas le pain, ni les oeufs, que c’est plus facile à avaler qu’un full english ou des couques mais la céréale elle-même n’est au fond pas vraiment importante. J’aime le rock garage, le psyché et la techno parce que c’est de la musique qui me donne envie de faire des bonds, de sortir, de boire, de faire l’amour et des blagues et parce que ça me goûte plus que le mainstream, l’urbain et la variété. C’est un penchant naturel qui se doit d’être satisfait mais est-ce que j’attends quoi que ce soit d’autre de tout ça que du fun et du plaisir ? Est-ce que j’en attends de la politique ? Du texte ? Du message ? Des visions d’avenir ? Est-ce qu’écouter une chanson du label Castle Face ou de Perc peut faire tomber Charles Michel ?

Evidemment que non. Dans le passé, ça a pourtant été le cas, quand ce genre de rock a fait pousser les cheveux des jeunes, leur a fleuri les chemises, fait mettre la fleur au canon des soldats. Quand la dance-music a sorti des marges sociales les freaks, les gays et les Noirs, a explosé les préjugés et les barrières de classes, a tenu de l’expérience communautaire mystique. Ca aussi, c’est fini. Je ne dis pas que le rock et la dance-music sont morts. J’avance plutôt que ces vecteurs musicaux ne sont tout simplement plus efficients pour porter ce genre de messages et symboliser ce genre de combats. Le rock a 65 ans et il a bien mérité sa petite retraite tranquille. La dance-music électronique aussi : sportive de haut niveau, la trentaine bien entamée, il est plutôt normal qu’elle se retire de la compétition. Qu’on les laisse dès lors gagatiser sur leur prestigieux passé, s’occuper de leurs petits potagers, faire sautiller les bambins sur leurs genoux cagneux. On n’attend plus d’eux que du bon temps, de belles histoires, une éventuelle petite sagesse de laquelle s’inspirer pour tout à fait faire autre chose. Quand vient le désir de dénoncer le système bancaire ou de faire tomber un gouvernement, ce n’est pas vers eux que l’on se tournera. Si vous incarnez ce genre de désir révolutionnaire en chanson, ça va même faire grave rire. On va vous comparer à Francis Lalanne, à Indochine, à Bono, la larchouma totale. Pour taper là où ça fait mal et foutre le feu, il faut s’inspirer de l’histoire insurrectionnelle de ces cinq dernières années et celle-ci a justement complètement zappé la chose musicale de son modus operandi, conseillant plutôt les réseaux sociaux, le hacking, l’agitprop et la rue. Tout cela peut bien entendu s’accompagner d’une petite chanson, mais celle-ci tiendra alors plus d’une forme de marketing, de l’équivalent d’un porte-clés ou d’un t-shirt du Front de Gauche, que du détonateur symbolique. Autrement dit, le nouveau Bob Dylan a 22 ans, ne chante pas mais poste des photos d’enfants du Bengladesh sur Instagram. On peut y croire. Ou pas.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content