Le fantastique Tim Burton
Prix Lumière 2022, le réalisateur américain Tim Burton retrace son parcours atypique que viendra, dans quelques jours, étoffer Wednesday, une minisérie qu’il a signée pour Netflix.
Son dernier grand film, Frankenweenie, a beau remonter à dix ans déjà, rien ne semble devoir entamer la popularité de Tim Burton. Démonstration il y a quelques jours au festival Lumière, à Lyon, où le réalisateur américain a été reçu dans une ambiance de folie par un public de fans -on ne voit jamais que Quentin Tarantino pour le concurrencer sur ce terrain-, la fièvre ne retombant pas alors qu’il s’acquittait de ses diverses “obligations”. Si l’auteur d’Ed Wood avait fait le déplacement dans la ville de naissance du cinéma, c’était pour y recevoir le Prix Lumière 2022 -ce Nobel du 7e art, comme l’a un jour baptisé Thierry Frémaux, le directeur général du festival-, rejoignant les Clint Eastwood, Francis Ford Coppola, Wong Kar-wai ou autre Jane Campion parmi ses illustres récipiendaires. L’occasion aussi pour le cinéaste, régénéré de son propre aveu par l’accueil lui ayant été réservé, de revenir longuement sur un parcours dont le premier coup d’éclat devait être, en 1982, le court métrage Vincent, petit bijou d’animation narré par Vincent Price. “J’ai écrit ce scénario parce que j’avais grandi en regardant ses films. Je le lui ai envoyé à tout hasard, et à ma grande surprise, il m’a répondu. Il ne l’a pas vu que comme un hommage, mais en a compris la psychologie. Son implication et sa bénédiction ont constitué un premier moment clé pour moi, ce court métrage m’a amené à faire du cinéma.”
Un parcours étrange
Burton est né à la fin des années 50 à Burbank, dans la périphérie de Los Angeles, là où se trouvent notamment les studios Disney et Warner. Pour autant, assure-t-il, son destin de cinéaste était loin d’être tout tracé -“mon ambition première, c’était de jouer Godzilla, de revêtir son costume et de détruire Tokyo. Mais ça n’a pas marché”, observe-t-il, hilare. L’atmosphère lénifiante de la banlieue américaine couplée à une météo sempiternellement au beau fixe le pousse vers les salles obscures: “Je m’y retranchais, et comme beaucoup de gens aimant le cinéma, il a nourri mes rêves et ma créativité et m’a parlé, les films constituant une forme de thérapie, en plus d’être ma manière d’explorer et de me sentir lié au monde.” De là à ce qu’il devienne lui-même cinéaste, il n’y aura finalement qu’un pas, franchi sans qu’il n’en ait vraiment conscience: “Plus jeune, je faisais des petits films en Super 8, j’aimais faire des choses, que ce soit de l’animation, du dessin ou des films, mais sans penser à devenir réalisateur. J’ai fait, encore et encore, et à force, et sans vraiment savoir comment, je suis devenu le cinéaste que je suis.”
Son parcours, Tim Burton aime à le qualifier d’étrange. En quoi on ne peut que lui donner raison. Voilà en effet un auteur que son univers semblait destiner à la marge, tant par son esthétique nourrie de romantisme gothique et de fantastique funèbre, que par ses personnages qui, de Edward Scissorhands à… Dumbo, composent une spectaculaire galerie d’outsiders. Mais aussi un artiste dont la vision, éminemment personnelle, s’est pourtant épanouie exclusivement au sein du système des studios, et cela, dès son premier long, Pee Wee’s Big Adventure, au mitan des années 80. Un phénomène rare sur lequel il a bien sûr sa petite idée. “On me laissait les coudées franches parce qu’on ne comprenait rien à ce que je faisais. J’ai donc joui d’une certaine indépendance tout en travaillant pour les studios, ce qui n’était pas courant à l’époque. Au bout d’un moment, ils ont remarqué que j’étais là, faisant en quelque sorte partie des meubles, et c’est devenu un peu plus compliqué.
J’ai eu de nombreux projets rejetés, comme par exemple celui d’une version musicale de The House of Wax avec Michael Jackson. J’ai eu beaucoup d’idées étranges comme celle-là qui ne sont jamais devenues des films.” Qu’à cela ne tienne, il travaillera avec une autre icône musicale, Prince, pour Batman: “Il tenait à faire cette musique, et je l’ai rencontré dans son studio, au Minnesota. Un moment curieux, parce que je n’ai pas dit un mot, et lui non plus…” L’album du Kid de Minneapolis comme les films de Burton d’ailleurs parlent d’eux-mêmes…
De Star Wars à Plan 9
Batman, en 1989, ouvre ce qui sera conteste la période la plus faste de sa carrière, qui le voit aligner, en une dizaine d’années à peine, Edward Scissorhands, Batman Returns, The Nightmare Before Christmas, Ed Wood, Mars Attacks! et Sleepy Hollow, excusez du peu. S’il se refuse à établir une hiérarchie entre ses films -“Aucun d’entre eux n’est parfait, mais ils revêtent tous un sens particulier à mes yeux. Ils sont comme mes enfants, je les aime avec leurs défauts”-, il confesse toutefois avoir une relation particulière avec The Nightmare Before Christmas, “tellement spécial, et sans doute le plus proche de ce que j’avais imaginé”. De même, sans surprise, qu’un faible pour Ed Wood, le film qu’il consacrait au “pire réalisateur de tous les temps”. “C’est un film très personnel. La relation entre Ed Wood et Bela Lugosi m’a rappelé celle que j’avais avec Vincent Price. La ligne entre ce qui est bon et ce qui est mauvais est très fine. Ed Wood avait un tel enthousiasme quand il faisait ses films: il pensait tourner Star Wars, et cela donnait Plan 9 from Outer Space. Mais il avait la passion et l’énergie, il ne lui manquait que le talent, ou que sais-je. C’est quelqu’un qui m’a toujours parlé, de même que son étrange famille de cinéma.” Ed Wood, devant sa caméra, avait les traits de Johnny Depp, virevoltant dans ses pulls en angora -l’un des points d’orgue d’une collaboration courant sur huit films, le dernier en date restant Dark Shadows, en 2012. “Entre Johnny et moi, il y a eu une connexion immédiate, dès Edward Scissorhands. Nous venions d’un environnement similaire, cette espèce de banlieue white trash, et nous pouvions communiquer sans avoir besoin de mots. Il aimait les personnages, et le jeu pour l’art du jeu, et non pour le business. C’était excitant de le voir jouer des choses différentes, et se transformer film après film.”
Depuis, le réalisateur et son alter ego ont connu des fortunes diverses, Burton, qui vit désormais à Londres, semblant, après quelques films en demi-teinte, s’être mis quelque peu en retrait de Hollywood: “La pandémie est arrivée au moment où les studios n’en avaient plus que pour le streaming et la télévision. C’était une période de transition un peu étrange, pendant laquelle on ne savait pas très bien dans quelle direction le cinéma allait évoluer, comme si tout était gelé au sein des studios. J’ai pris un peu de recul, en réfléchissant à divers projets.” Un hiatus qu’il a aussi mis à profit pour réaliser la minisérie Wednesday, un spin-off de The Addams Family, centré sur le personnage de la fille de la famille: “Jamais je n’aurais envisagé de travailler pour la télévision, mais j’aime vraiment beaucoup le personnage de Wednesday: je peux aisément m’identifier à elle, et à sa nature profonde. Elle ressemble à l’adolescent que j’étais, j’aime son attitude par rapport à l’école, à ses parents, aux gens et à la société. J’ai toujours eu le sentiment qu’elle aurait pu être moi.” Pour un résultat que l’on pourra découvrir sur Netflix -“un studio comme un autre”– à compter du 23 novembre. En attendant un retour au cinéma sur lequel il entretient un certain mystère, mais qui ne sera en tout cas pas un film Marvel: “J’ai déjà des problèmes avec un univers unique, alors vous imaginez avec le multivers…” (rires)
Perles lyonnaises
Lyon étant le berceau du 7e art, il était normal que le festival Lumière, non content de saluer chaque année le génie d’un cinéaste contemporain -Tim Burton succédant à Jane Campion, aux frères Dardenne ou encore à Pedro Almodóvar-, ne célèbre également le patrimoine cinématographique, classique ou méconnu. Le millésime 2022 n’a pas dérogé à la règle qui, à côté de rétrospectives consacrées au réalisateur d’Edward Scissorhands, à Louis Malle ou André De Toth, aura notamment permis de découvrir trois échantillons de cinéma japonais bis du début des années 70 (les deux premiers volets de la saga de La Femme Scorpion et Lady Snowblood) habités par la présence magnétique de Meiko Kaji, cultissime incarnation nipponne de la vengeance. Trois films dont l’on ne s’étonnera guère qu’ils aient constitué une influence majeure de Quentin Tarantino pour Kill Bill, le réalisateur américain utilisant d’ailleurs deux des chansons enregistrées par l’actrice dans le soundtrack de son diptyque…
Autres curiosités, présentées dans le cadre des Lumière Classics, Des femmes disparaissent, polar signé à la toute fin des années 50 par Édouard Molinaro, le futur réalisateur de La Cage aux folles. Un film évoquant la traite des Blanches au son d’une partition d’Art Blakey, avec une mention particulière à Philippe Clay, impayable en tueur au flegme acéré. Ou, dans un registre tout différent, Mes petites amoureuses, récit d’apprentissage d’inspiration autobiographique réalisé par un Jean Eustache d’humeur “truffaldienne” juste après La Maman et la Putain. Boudé à sa sortie, le film, restauré en 4K, mérite d’être redécouvert. Comme, d’ailleurs, Running on Empty, pépite oubliée d’un Sidney Lumet qui y distribuait River Phoenix sous les traits d’un adolescent, fils d’activistes en cavale perpétuelle après avoir participé à un attentant à la bombe quinze ans plus tôt, les aspirations des uns et des autres divergeant bientôt. Pour un résultat proprement bouleversant qui devait inspirer à Vincent Lindon, présentateur d’un jour, cet hommage ému: “Quand j’ai découvert ce film à sa sortie, en 1988, j’aurais voulu être le fils. Et maintenant, avec le temps, j’aimerais être le père.” On n’aurait pas trouvé mieux…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici