LA CRISE UKRAINIENNE RÉVEILLAIT LES PEURS ENFOUIES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE CHEZ LES POLONAIS DE 11 BIT STUDIOS. THIS WAR OF MINE CRISTALLISE LEUR VISION DE LA GUERRE, CÔTÉ CIVILS. UNE DÉMARCHE UNIQUE. ÉPOUSTOUFLANTE.

La guerre dans les jeux vidéo commerciaux souffre d’une vision monolithique désespérante. Black vouait un culte malsain aux armes à feu (dites « gun porn ») en 2006. Call of Duty s’invente, lui, un nouvel ennemi US à chaque épisode (l’Amérique latine sur l’avant-dernier Ghosts). Autrement plus dérangeants que l’acte violent en soi, la glorification du conflit militaire et les lieux communs de camaraderie qu’il draine s’érigent en règle. Sorti de nulle part, This War of Mine tourne le dos à ce manque de réflexion chronique gangrénant le gaming. Le titre introspectif explore ainsi la survie quotidienne de civils coincés entre les balles qui sifflent. Tout le monde descend.

Codé à Varsovie, sous les claviers d’une vingtaine de créateurs de 11 bit studios, This War of Mine doit sa genèse à l’identité même de la Pologne. Le pays compte ainsi parmi les nations qui ont le plus souffert de la Seconde Guerre mondiale puisqu’il fut le premier à être envahi par les nazis. Seuls 10 % de la capitale polonaise restèrent debout après la guerre. « Ici, chaque famille a été touchée. Petit, j’écoutais mes grands-parents me raconter beaucoup d’histoires horribles sur cette guerre. Même si on vit en paix depuis deux générations, personne ne prend ce sujet à la légère. Ici, il nous habite »,souligne Grzegorz Miechowski, co-fondateur du studio et co-créateur du jeu.

L’ennemi en soi

« On a commencé à travailler sur This War of Mine au début de l’année dernière, lorsque la situation entre l’Ukraine et la Russie s’envenimait. J’avais déjà lu beaucoup d’ouvrages sur les civils en temps de guerre mais ce conflit qui a lieu à nos portes a servi de catalyseur après plusieurs années de réflexions »,poursuit le bouillonnant développeur de 43 ans. Loin, très loin d’une saga comme Medal of Honor qui échafaudait ses scénarios sur des interviews de soldats vétérans il y a quatre ans, This War of Mine suit une équipe de trois survivants coincés dans une maison de ville en ruines. Le titre se joue très simplement à la souris, comme un point & click. Surveiller et gérer en permanence leur état de santé précaire relève toutefois de l’exercice de funambule.

Pour éviter le gouffre, des tâches sont assignables à chaque protagoniste, en temps réel. Fouiller des décombres à la recherche de planches pour construire un lit qui permettra d’envoyer un survivant passer une (relative) bonne nuit. Troquer des médicaments contre un peu de nourriture à un colporteur pour ensuite lancer la préparation d’un repas. Chaque action, chronophage, doit ainsi être mûrement réfléchie. Mieux, pelle et autre pied-de-biche que l’on confectionne avec du bric-à-brac trouvé élargissent le champ d’action des protagonistes qui pourront ainsi atteindre des zones normalement inaccessibles. Implacable, le chrono se tend comme une épée de Damoclès avant la tombée de la nuit.

Car pour trouver des nouveaux items comme des bandages -vitaux en cas de cambriolage- ou du tabac utile pour éviter la dépression grave, This War of Mine exige de sortir de son frêle abri. On envoie alors un survivant de son équipe explorer la ville pour des virées nocturnes, lorsque les snipers dorment. Occupés par d’autres habitants plus ou moins agressifs, les hôpitaux, écoles et hôtels qui se dressent encore dans une ville aux abois renvoient au siège de Sarajevo. Le conflit d’ex-Yougoslavie n’est toutefois jamais mentionné.

« Nous avons recréé une situation théorique. On s’est inspirés de ce conflit pour s’ancrer au présent et ainsi éviter la Seconde Guerre mondiale. Nous ne voulions pas que les joueurs l’interprètent comme un livre d’Histoire. Il était important de montrer que cette situation peut arriver à chacun d’entre nous, aujourd’hui »,insiste Miechowski. « Nous avions l’habitude de développer des jeux classiques, This War of Mine a donc été une expérience difficile pour l’équipe car nous voulions qu’il draine des émotions difficiles. Et avant d’y arriver, il fallait les ressentir… »

Dessiné comme une BD européenne presqu’entièrement en noir et blanc, au fusain, This War of Mine déploie également un système économique dominé par le troc. Un paquet de cigarettes y a plus de valeur qu’un diamant. L’axe des valeurs habituelles y est savamment déréglé. Subtilement, sa vue de profil en 2,5D se joue en outre de zones intelligemment floutées masquant la présence d’ennemis potentiels pour qui fouille un immeuble étranger.

Le jeu développe ainsi des phases d’infiltration mettant le personnage en danger de mort lorsqu’il vole le bien d’autrui. Avec en prime des questions morales montrant avec talent que la notion de bien et de mal se floute invariablement en cas de survie. Refuser de l’aide à des enfants en détresse pour se soigner d’une blessure grave? Voler des boîtes de conserve à un couple de retraités aux abois pour nourrir un proche affamé? La violence en temps de guerre ne baigne pas que dans le sang…

THIS WAR OF MINE. ÉDITÉ PAR DEEP SILVER ET DÉVELOPPÉ PAR 11 BIT STUDIOS, ÂGE NC, DISPONIBLE SUR PC ET MAC VIA STEAM -WWW.11BITSTUDIOS.COM

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TEXTE Michi-Hiro Tamaï

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