Titre - La Conspiration du Caire
Genre - Thriller
Réalisateur-trice - Tarik Saleh
Casting - Tawfeek Barhom, Fares Fares, Mehdi Dehbi
Durée - 2h05
Thriller habile, La Conspiration du Caire déploie son intrigue dans l’épicentre de l’islam sunnite, agité par une intense lutte de succession. Son réalisateur Tarik Saleh raconte.
Réalisateur suédois d’origine égyptienne, Tarik Saleh s’est fait connaître avec Le Caire confidentiel, un polar qui portait un regard sans fard sur l’Égypte de Moubarak. Désormais indésirable dans le pays, c’est en Turquie qu’il a tourné La Conspiration du Caire, un thriller où il s’invite dans la prestigieuse université Al-Azhar, institution phare de l’Islam sunnite. Et le théâtre d’une âpre lutte de succession impliquant autorités religieuses et politiques, ces dernières souhaitant favoriser la nomination d’un imam conciliant. Un film dense et habile, dont il raconte avoir eu l’idée en relisant Le Nom de la rose de d’Umberto Eco, imaginant raconter une histoire du même genre, mais dans un contexte musulman.
Saleh, que l’on rencontre à Cannes au lendemain de la projection de son film en compétition -il en repartira avec le prix du scénario-, a tout de l’empêcheur de filmer en rond. Le genre à ne pas ménager les autorités égyptiennes dans son cinéma, mais aussi à ne pas avoir sa langue en poche. Comme lorsque, débarqué dans ce qui reste la Mecque du 7e art, il s’empresse de déclarer détester être réalisateur. Ce qui mérite bien une explication: “La première raison, et elle est atroce, c’est que j’ai deux enfants, et que je dois veiller à ce qu’il y ait à manger. Comme réalisateur, je suis très bien payé, parce que certaines personnes considèrent que je suis bon. Mais ma passion, c’est l’écriture, et je peins également. Dans un cas comme dans l’autre, vous êtes seul et ne devez pas faire de compromis. J’aime aussi le cinéma -mon père était animateur en stop motion, et j’ai grandi dans cet environnement- et j’aime travailler avec une équipe mais, et c’est le problème, dans la réalité, je dois me conduire comme un général qui sacrifie des gens. C’est très dur, brutal. Un accident comme celui qui est arrivé à Alec Baldwin ne m’a pas surpris. Sur chaque plateau sur lequel j’ai été, j’ai vu des gens emmenés en ambulance. Et dix minutes plus tard, les producteurs vous disent que tout va bien. C’est comme ça qu’on travaille, je me sens comme Vladimir Poutine, et plus comme un être humain: j’ai l’impression d’être celui qui envoie des gens se faire tuer. Je suis quelqu’un de très doux dans la vie privée, mais sur un plateau, je suis un autre qui ne me plaît pas beaucoup, et parfois pendant des mois. Mais la vraie raison, c’est que je n’ai pas confiance dans ce que d’autres pourraient faire de mes scripts. Si Iñárritu m’appelait pour me dire: “Écoute, j’ai adoré le scénario de La Conspiration du Caire et j’aimerais le réaliser”, je répondrais “Vas-y, fonce!”, lui ou Cuarón, Bong Joon-ho ou Park Chan-wook, ce serait génial!”
À défaut de quoi, Tarik Saleh en est réduit à porter lui-même ses scénarios à l’écran, activité pour laquelle il montre, ne lui en déplaise, d’évidentes dispositions. Ainsi, donc, de La Conspiration du Caire, où il tire un profit maximum de la géométrie du décor de la mosquée Süleymanye d’Istanbul, “doublure” de l’université Al-Azhar, pour donner au film des allures de partie d’échecs opposant différents courants de l’islam. Non sans renvoyer dos-à-dos pouvoirs religieux et politique, compromis, l’un comme l’autre, à des degrés divers. “On me dit que je suis courageux, mais j’ai un passeport suédois, et je vis en Europe. J’ai tourné à Istanbul, entouré de gens qui voulaient que ces choses se sachent. Pour moi, un artiste se doit de dire la vérité, la vérité émotionnelle, parce qu’il n’y a pas de vérité objective mais seulement subjective. En étant précis, honnête et en ne spéculant pas, on peut vraiment dire quelque chose.”
Et contribuer, pourquoi pas, à dessiller les spectateurs, en s’immisçant par exemple dans un endroit comme la très secrète université Al-Azhar. Et le réalisateur de prendre à témoin le petit groupe de journalistes lui faisant face: “Combien d’entre vous connaissaient Al-Azhar avant d’avoir vu le film? L’islam occupe un vaste espace médiatique, c’est devenu une obsession au quotidien, le croque-mitaine, mais en même temps, on ignore ce qu’est Al-Azhar et qui est le grand imam. Ne pas savoir est dangereux. Mon film ne se veut pas informatif, c’est un thriller, une fiction, mais je trouve intéressant que cette histoire n’ait jamais été racontée ni expliquée. La question est: à qui la responsabilité? J’estime avoir une responsabilité de n’avoir pas fait un film ni écrit un livre racontant cette histoire, et d’avoir laissé un groupe de talibans raconter l’histoire de l’islam en tirant dans la tête d’une petite fille qui voulait aller à l’école. Mais au bout du compte, c’est notre responsabilité à tous de connaître le monde, et d’essayer d’observer et de comprendre que l’expérience humaine n’y est guère différente. Si je ne raconte pas cette histoire, personne d’autre ne le fera, et certainement pas des Égyptiens, parce que c’est impossible: l’Égypte est une dictature militaire, il n’y a aucun doute là-dessus. Après, comme disait Hitchcock, ce n’est jamais qu’un film…”
La Conspiration du Caire
Tout juste admis à la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, l’épicentre de l’islam sunnite, Adam (incarné par Tawfeek Barhom), un modeste fils de pêcheur, découvre une institution en proie à une grande effervescence. À la suite du décès inopiné du grand imam, une lutte de succession agite en effet les autorités religieuses, le pouvoir politique entendant bien y mettre son grain de sel. Et un officier de la sûreté de l’État, le colonel Ibrahim (Fares Fares), de recruter le jeune homme pour en faire son informateur au sein de l’école… Réalisateur suédois d’origine égyptienne, Tarik Saleh est indésirable dans le pays de son père. C’est donc en Turquie qu’il a tourné La Conspiration du Caire (notamment dans la mosquée Süleymanye d’Istanbul), un film qui constitue, entre corruption des uns et hypocrisie des autres, un portrait sans complaisance des hautes sphères de la société égyptienne. Le tout sous la forme d’un thriller malin et haletant, quelque chose comme le croisement entre Un prophète et Le Nom de la rose, prix du scénario à Cannes.
De Tarik Saleh. Avec Tawfeek Barhom, Fares Fares, Mehdi Dehbi. 2 h 05. Sortie: 23/11. 7Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici