La chanson française selon Isolde
Collaboratrice de Daan, Isolde Lasoen réussit un album entre chanson française birkinesque, dark pop et instrumentaux de haute volée. Attention, talent flamand.
« Je me souviens qu’à quatre ans, ma mère m’avait taillé une petite jupe dans les couleurs bleu-blanc de notre fanfare de Maldegem: j’ai dû faire deux tours avant de considérer que je ne serais jamais majorette (sourire). Mon ambition était déjà de devenir musicienne. » Un jour de novembre ultra-belge, la maison gantoise des années 30 résonne de la francophonie d’Isolde Lasoen. Se pliant à la fois à la langue (d’adoption) d’Arno et au jeu de la bio, la jeune femme avenante -née le dernier jour de 1979- est contente et un rien surprise de l’intérêt suscité du côté bruxello-wallon par son étonnant premier album sorti sous le simple patronyme Isolde. De fait, ce dernier trace une ligne imaginative et plutôt inédite entre coquinerie francophile, instants anglais et instrumentaux orchestraux, grandement nourris par l’enfance. Le décor est alors celui de Maldegem -à l’est de Bruges- et d’une famille où la célébration collective de la musique croise un karma douloureux: « Je viens d’un milieu tout simple dont la particularité était que mon père, malade, passait la plupart de son temps à la maison, soigné par ma mère. Comme enfant, l’ambiance n’était pas super chouette. L’autre caractéristique était que tout le monde, y compris mes frères, était impliqué dans la fanfare locale, avec une prédilection pour les percussions. ».
Le recto de l’album d’Isolde est d’ailleurs orné d’un chromo noir et blanc de maman en full uniforme de majorette, mini-boots et caisse claire triomphale. « Durant la dizaine d’années de mon implication dans la fanfare Nut & Vermaak (Utilitaire et divertissement, NDLR), j’ai aimé la puissance orchestrale de l’ensemble, ce son puissant et très physique produit par une soixantaine de personnes, mais aussi l’idée que ce soit une grande famille. » Cette époque où Isolde joint les battles entre harmonies flandriennes se double aussi d’une obsession familiale autour des BO de films, éclatées entre Giorgio Moroder, John Barry ou Ennio Morricone. D’où un amour toujours pas démenti pour « les brass bands et les big bands« . La preuve? Alors qu’elle n’a pas encore terminé ses études au Conservatoire Jazz de Gand, Isolde joue déjà dans un ensemble cuivré qui turbine à 150 concerts à l’année. D’où cette dextérité accouplée à un amour immodéré du jazz -hard bop, cool, swing- qui donne assez vite à la demoiselle une réputation de hot talent flandrien. Qui devait logiquement croiser la route du dandy Daan plutôt que celle de dEUS et Vive La Fête, également intéressés par la fille douée.
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Samba des diables
« Il m’a un jour téléphoné en me disant qu’il cherchait un(e) percussionniste: il n’y a eu aucune audition et je me suis retrouvée tout de suite sur scène avec lui et le groupe. À jouer de la batterie -toujours mon instrument principal- mais aussi du vibraphone et même un peu de trompette. » Quinze ans après son premier concert avec Daan et une dizaine d’albums communs, des centaines de live, l’expérience musicale est devenue majeure. Elle a aussi introduit Isolde à l’expérimentation de la chanson française. « À l’école, j’étais plutôt bonne en français mais je n’aimais pas vraiment la sonorité de la langue et puis, il y a eu cette soirée avec Daan. » Cette fois-là, vers 2005, l’enfant terrible de la pop belge demande à Isolde d’assumer l’autre voix de Quinze ans déjà, morceau tiré de l’album Cinema consacré à ses musiques de films. « Un morceau très filmique où Daan assume la voix basse et me demande de le doubler en poussant la note haute. Sans jouer de la batterie: donc le spot s’allume sur moi, je me lève et chante, avec le mixeur qui me met au même niveau que Daan. Succès. Ce flash m’a ouvert à tout un univers où je me suis mise à écouter les yéyés pop (sic), Françoise Hardy et bien évidemment Gainsbourg dont je suis tombée d’emblée amoureuse via Histoire de Melody Nelson. »
D’autres musiques de films suivent, françaises cette fois, avec les compositions de Francis Lai ou François de Roubaix. Il faudra plusieurs années pour qu’Isolde, très occupée, digère ces parfums de l’ailleurs proche et parte en 2012 sur la route avec son groupe, Les Bens. Jouant initialement de savoureuses reprises de chanson française vintage. Un premier EP paraît en 2014 avec entre autres l’original brésilien Samba des diables, comme si Françoise Hardy, lestée d’une pointe d’exotisme linguistique, partait dans le Rio des années 60. Ce qui éloigne alors Isolde des simples échos vintage tient précisément dans son talent de compositrice et d’orchestratrice, celui qui guide les cuivres sinueux en compagnie d’une naturelle sensualité vocale. Le même charme désarmant préside à l’album qui arrive enfin, ce Cartes postales offrant à la francophonie un ricochet de fraîcheur inattendu via la Flandre 2017. Isolde s’étonne un peu de notre question linguistique -« Jamais eu de problème en chantant en français en Flandre? »- et cite un seul exemple de couac régionaliste dans les environs de Bruxelles. Seule ou pour quelques textes aidée de Mabel Moreno, « une amie de Daan », Isolde a écrit ses fantasmes birkino-gainsbourgiens et d’autres sonorités sur un album autofinancé malgré l’ambition musicale et les coûts cossus de studio. Mine de rien, voilà l’un des meilleurs disques belges de 2017. Au moins.
Distribué par Pias. ****
L’élégance est une vertu en perte de vitesse, surtout lorsqu’elle harmonise un album réunissant trois directions musicales a priori étanches: la chanson française, la pop anglophone et de voluptueuses orchestrations dignes de John Barry. Si Isolde surprend en revitalisant la langue française dans des titres idéaux qui font preuve d’ironie salvatrice comme de sentiment (Les Belles, Majorettes, Provocateur), elle bluffe vraiment dans Ouverture, Reine des plages ou la seconde partie de Cartes postales, moments instrumentaux qui tiennent à la fois d’une grandeur et d’une mélancolie totalement assumées.
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