La BD de la semaine: Le Brigand du Sertão, la horde sauvage

Le Brigand du Sertão, de Wellington Srbek et Flavio Colin. © DR
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Un classique de la BD brésilienne qui nous plonge dans un Far West tropical, sensuel, violent et mystique. En selle !

Le Brigand du Sertão, de Wellington Srbek et Flavio Colin, éditions Sarbacane, 160 pages.
Le Brigand du Sertão, de Wellington Srbek et Flavio Colin, éditions Sarbacane, 160 pages.© DR

Le Brésil, ses plages, ses favelas, sa Coupe du Monde, son carnaval, ses rythmes et… sa bande dessinée. Moins visible sur le présentoir des cartes postales, elle mérite également le détour à en juger par les quelques spécimens que les courants capricieux de l’édition veulent bien pousser jusque sur nos rives. Alors qu’on a encore en mémoire les effluves graphiques puissantes de Cachalot (Rafael Coutinho), voilà que débarque un bel objet intriguant précédé du titre ronflant de « chef-d’oeuvre de la BD brésilienne ».

Fruit de l’union artistique de Wellington Srbek au scénario et de feu la légende locale Flavio Colin au dessin, Le Brigand du Sertão est à la bande dessinée ce que Dona Flor et ses deux maris de Jorge Amado est à la littérature: un western tropical balayé par les vents chauds du réalisme magique et de la critique sociale.

En ces lointaines années 20, l’anarchie règne dans la région aride du Sertão. Les Jagunços, les bandits de grand chemin, sèment la terreur dans cette campagne du Nordeste. Le plus terrible, le plus redouté et le plus sanguinaire de tous s’appelle Antonio Mortalma. Plusieurs légendes circulent sur son compte: pour certains il serait le fruit pourri d’un viol, pour d’autres il aurait pactisé avec le diable, pour d’autres encore il serait carrément le fils du Démon. Ancien mercenaire du colonel Soturno Gouveia, le hors-la-loi écume les villages avec sa bande. Un journaliste de la ville envoyé sur place résume ainsi l’état d’esprit de la population: « La grâce des lumières de la civilisation et des temps modernes ne leur étant pas encore accordée, ces gens spirituellement attardés sont victimes de toutes sortes de superstitions. »

La mort au tournant

L’affreux barbu va trouver sur sa route Manuel Grande, ex-éleveur qui a pris les armes depuis que Mortalma s’en est pris à sa famille. Il mène une « guerre juste » contre toutes les fripouilles du coin et a rallié à sa cause d’anciens esclaves comme le valeureux Tião Valente, des enfants de paysans mais aussi la fille de l’officier Soturno, répudiée pour avoir osé préférer un bouvier au rejeton du collecteur fédéral auquel son père sans coeur la destinait pour faciliter ses affaires. Pour les autorités, Mortalma ou Grande sont des parasites à éliminer. Aussi, quand des troupes sont envoyées dans la région pour ramener l’ordre, le temps se gâte encore un peu plus. D’autant que les militaires ne font pas dans la dentelle. Le fier lieutenant Floriano, qui n’est autre que le fils du colonel Soturno, a ainsi un sens très personnel de la justice, rendue à coups de sabre, de pillages et d’exécutions sommaires.

Fresque épique et mystique aux parfums capiteux, ce récit mené au galop donne chair à cette période agitée et chaotique. On y perdrait d’ailleurs son portugais si le tandem n’avait pris soin de raconter la saga en épisodes courts reliés entre eux par les liens du sang, de l’honneur et du vice. Cerise sur la feijoada, la ligne claire sensuelle de Colin, d’une modernité galvanisante, recouvre l’ensemble d’une patine mythologique, dans sa lisibilité comme dans son brassage métaphorique de grands thèmes moraux universels, qui n’est pas sans rappeler l’univers baroque et foisonnant d’un autre conteur latino génial, le regretté Gabriel García Márquez.

Le Brigand du Sertão, de Wellington Srbek et Flavio Colin, éditions Sarbacane, 160 pages.

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