Kel Assouf, tempête du désert
Quand il ne se promène pas dans Bruxelles sur un dromadaire, le touareg d’Uccle Anana Harouna y fait souffler le vent des sables avec le rock désertique et urbain de Kel Assouf. Clap deuxième.
Uccle. Chaussée d’Alsemberg. Veste en cuir et chapeau noir mi-gangster, mi-cow-boy, Anana Harouna nous rejoint devant la porte de chez lui, s’empresse de préparer le thé et se dépêche d’allumer un feu de bois. Cela fait plus de dix ans que l’homme des sables a suivi une femme à Bruxelles et y a posé ses valises. Né au Niger, le Touareg a été élevé dans le désert jusqu’à l’âge de neuf ans. Il s’est ensuite installé en ville, à Agadez, où il a pu être scolarisé. « J’en avais trois de plus quand on a dû partir en Lybie à cause des problèmes politiques qui frappaient la région. C’était le début de la révolte touareg. La rébellion allait arriver. Et avec elle, la guerre. »
Anana, qui a grandi avec sa mère et sa soeur (son père est mort en 1987), se souvient de l’impensable périple. De son retour de l’école avec son sac à dos. De la voiture devant la maison et de ses affaires qui y étaient entassées. « On a roulé toute la nuit dans une petite Peugeot et le lendemain, on a embarqué dans des 4×4 qui nous attendaient pour partir en Algérie. On a quitté Arlit à 6 heures du matin, mais la voiture est tombée en panne. Quand c’est comme ça, il faut qu’un autre véhicule reparte en ville chercher les pièces nécessaires. On est restés deux jours sans nouvelles. Des fraudeurs nous ont aidés. On a réparé. On est repartis. Et on a eu un accident. Je ne sais pas combien nous avions de cartouches de cigarettes sur le toit. La voiture a fait des tonneaux. Il y avait des blessés. Du sang partout. On a encore dû parcourir 80 kilomètres avec des ânes pour arriver en Lybie. Je n’avais aucune idée d’où nous allions. Nous devions cacher ces informations. Les Touaregs étaient à l’époque rapidement jetés en prison. »
Pas d’éducation, pas de soins de santé. Des dizaines de kilomètres à parcourir pour trouver de l’eau et des puits de 30 mètres d’où remonter les sceaux… « Le Touareg, c’est un peu comme l’aborigène, on ne lui laisse pas le droit de profiter des richesses sur lesquelles il vit. Il ne demande pas grand-chose, mais, même ça, on ne le lui donne pas. C’est ce qui a poussé les jeunes à s’exiler et à se révolter. »
A seize ans, Anana décide de prendre les armes et de suivre une formation militaire. Il entre dans un camp d’entraînement. « Le genre d’endroit où l’on apprend aux jeunes à se battre. Comme en a beaucoup ouvert Kadhafi dans les années 80. A l’époque, c’était la dictature. On ne pouvait pas faire entendre notre voix d’une manière pacifique ou démocratique. Mais on ne nous envoyait pas au combat. J’ai formé d’autres jeunes. Epaulé un infirmier. »
Puis, surtout, il y découvre la guitare. L’instrument ultime de la révolte. Celui de Tinariwen qui revendique ses droits dans des chants révolutionnaires en tamasheq…
« Si on t’arrêtait avec une cassette au Niger, tu risquais la prison. On ne mettait donc pas trop de volume et on fermait toutes les portes de la maison. Quand j’ai vu un mec avec une guitare dans le maquis, je l’ai suivi de près et je me suis mis à jouer. C’était l’outil le plus efficace pour combattre. Une manière non violente de lutter. Le rock, pour moi, c’est la musique de la révolte. La musique qui crie. Qui sort fort ce qu’on ressent tout bas. »
Kickstarter, Led Zep et Timbuktu…
En Algérie où il rejoint sa soeur après un an et demi, Anana dégote sa première gratte. Echangée contre un petit radiocassette. Depuis dit-il, il dort, se réveille et se couche avec la musique. « J’avais trouvé ma voix. Ça m’a sauvé. J’ai monté un groupe en arrivant ici en 2005. C’est une chance. Je peux faire connaître ma culture, parler de nos difficultés, de notre mode de vie, appeler à la justice et à la paix… Je ne veux pas être un type exotique. Je veux passer mon message. Rassembler les gens, briser les barrières. Il faut étouffer le son des missiles et des canons avec celui de la musique. »
Enregistré avec le producteur et musicien tunisien Sofyann Ben Youssef, son deuxième album, le formidable Tikounen, propose un son plus lourd et plus rock que Tin Hinane sorti en 2012. « En musique, il ne faut pas se fixer de limites. Moi, j’écoute Led Zep, Metallica… Je mélange le traditionnel et le moderne. »
Tikounen signifie « monde étrange ». Il parle de vérité et de mensonge. Des mensonges qu’on nous vend pour des vérités. Et des guerres derrière lesquelles se cachent toujours des intérêts. « On divise les gens pour mieux les diriger. Ça parle de ça. De l’actualité aujourd’hui. De l’actualité dans le monde. De ce qui se passe dans le nord du Mali, en Syrie et ici en Europe, avec les attaques terroristes. Le Bataclan, Charlie… Je ne peux pas comprendre. Je ne veux même pas essayer. »
Sur Tikounen, Anana chante avec sa cousine Toulou Kiki. L’actrice principale du Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, récompensé l’an dernier de six César. « Je pense qu’il est primordial de faire entendre la voix des femmes. Elles tiennent une place très importante chez les Touaregs. Toulou habite à Paris, elle est partie pour l’Europe un an avant moi. »
Anana sourit quand on lui parle du nombre de Touaregs en Belgique. « On doit être une dizaine. Trois autres à Bruxelles. Un couple à Anvers et à Liège. Une famille à Beaumont, à Wavre et à Verviers. Nous ne sommes pas plus de mille en Europe… D’ailleurs, dès qu’un Touareg arrive ici, on l’aide à s’installer. On lui fait visiter. Même si on ne se connaît pas, on se connaît quand même. Quand Tinariwen, Tamikrest et Bombino viennent à Bruxelles, ils logent chez moi… »
Il y a trois semaines, pour les besoins de son prochain clip (dont vous pouvez participer à la postproduction via Kickstarter jusqu’au 26 mars), Anana s’est promené dans le centre-ville sur le dos d’un dromadaire emprunté chez un chamelier lillois. Une idée qui illustre à merveille son album. La confrontation entre identité et intégration, entre culture traditionnelle et milieu urbain.
TIKOUNEN, DISTRIBUÉ PAR IGLOOMONDO. ****
LE 16/03 À L’AB, LE 18/03 À DE CENTRALE (GAND), LE 25/03 AU 4AD (DIXMUDE), LE 25/06 À LA NUIT AFRICAINE (OTTIGNIES)…
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