Avec Heureux les simples d’esprit, Cara Zina signe un premier roman autobiographique tendu comme un riff de guitare. De la révolte adolescente aux rêves avortés de l’âge adulte, un portrait cinglant d’une génération désenchantée.

Elle a laissé tomber les clous et les squats de ses années punk, remisé les pétards et les mauvais garçons de sa période rap, mais le feu couve toujours sous les cendres d’une vie plus ou moins rangée. Les injustices, le racisme, l’hypocrisie, la pitié… Toute cette boue qui salit les mains la débecte toujours autant même si elle a fini par céder aux sirènes du confort. Inapte au bonheur Cara Zina? Non, juste lucide et insoumise. Il faut dire qu’avec un enfant handicapé et un célibat qui s’éternise, les rêves de grand soir ont été sérieusement écornés. Dans Heureux les simples d’esprit (Robert Laffont), premier roman à forts relents autobiographiques, cette trentenaire raconte avec panache et sans fard son parcours de jeune délurée tentée par la guérilla urbaine. Entre humour corrosif et autodérision, entre souvenirs grinçants et réflexions mordantes – sur les hommes, la religion, le sexe… – s’esquisse en creux le portrait d’une jeune femme de son époque qui tente de concilier ses contradictions. Un témoignage vif et piquant comme une brise marine. Traversé d’éclats de musique, ce carburant des révoltes de la jeunesse. Cara Zina fait ainsi tourner le juke-box des années 80 et 90. Versant alternatif bien sûr. Cette ex-fan des Bérurier Noir qui a elle-même tâté de la scène au sein des Straight Royeur, où elle criait sa rage avec sa grande copine, la sulfureuse Virgine Despentes, a gardé le goût des chansons qui ont quelque chose à dire ou plutôt à dénoncer. Comme en témoignent les paroles des chansons qui ouvrent chaque chapitre. Et que nous lui avons fredonnées pour savoir ce qu’elles évoquaient pour elle…

« Je me fous d’être jolie… fais chier d’être une fille » (Bams)

 » On a écrit en 1990 des textes féministes pour dire qu’on s’en foutait d’être des filles, qu’on voulait faire les mêmes trucs que les garçons. 15 ans plus tard, Bams dit la même chose. Etre une fille, c’est trop de contraintes et pas assez de compensations. J’agis comme les mecs avec les filles. J’ai toujours refusé de me conformer à cette image de faible femme à protéger, toute enamourée… Dans la littérature, dans le cinéma, on a beaucoup de référents masculins auxquels on a envie de ressembler. Et pourtant, dans la vraie vie, je connais plus de femmes que d’hommes qui forcent le respect. Plus de femmes qui se dépatouillent dans une vie de merde. Et peu d’hommes épatants, qui ont du mérite. Peut-être que quand on a toutes les cartes dans les mains dès le départ, on est moins enclin à faire des efforts. Et on a aussi moins de mérite à avoir ce qu’on a. Les quelques garçons qui m’épatent sont issus de minorités, ils ont dû batailler pour s’en sortir. »

« Un ennemi en commun, et n’avoir rien ça crée des liens, de fractures en brisures, la tête usée contre les murs. » (Straight Royeur)

« La tête usée contre les murs, ça c’est une rime de Virginie que je n’ai jamais très bien comprise (rires). Le début des paroles est représentatif de ma relation avec le garçon que j’ai rencontré à l’époque. Ils étaient arabes, nous on était punks. Et c’est parce qu’on avait les skins comme ennemi commun qu’on s’est alliés. Alors que sur le fond on n’avait pas grand-chose à partager. Mais je n’ai jamais rien lâché de capital dans cette aventure. J’ai protégé mes arrières. Ce qui m’a permis de m’en sortir sans trop de dégâts comparé à d’autres qui ont coupé les ponts avec la réalité ou qui sont morts. Je me suis toujours un peu sentie en retrait, spectatrice de ma vie même si je donnais l’impression de faire partie des meneurs. Je pense que j’ai des bases stables. Ce qui permet de traverser des épreuves sans trop se perdre.  »

« Quand j’étais p’tit, on m’a appris qu’aller bosser c’était la vie, mais pour moi la vie c’est pas ça: sois productif et ferme-la! » (Les Rats)

 » Je ne pensais pas rester institutrice très longtemps. Je le faisais parce que j’aimais bien travailler avec des enfants et qu’il fallait bien faire quelque chose. Mais le poids de la hiérarchie, la contrainte des horaires, etc. Toujours ce côté perdre sa vie à la gagner et ne rien pouvoir faire d’autre tellement on est crevé quand on rentre me font penser que c’est dommage d’être sur terre pour ça. Même si je me sens utile. Dans la chanson, on parle de l’usine. Mais traduit bien l’idée qu’il faut laisser tomber ses rêves pour aller bosser.  »

« Move your ass, and your mind will follow.  » (D’après Funkadelic)

 » Je l’entends comme une incitation à ne pas se laisser aller. Pas tellement sur le terrain politique. Plus quant à son état d’esprit, à sa capacité d’agir. Bouge-toi, décide de ta vie. Si on pense que tout est gris, on n’avance plus. Mais si on se dit qu’il y a quand même des moments merveilleux dans la vie, on peut aller de l’avant. Le titre du livre ne dit pas autre chose. Heureux les simples d’esprit, c’est à la fois dans le sens où il faut se coller des £illères pour arriver à être heureux dans ce monde, mais c’est aussi laisser entendre qu’on peut être heureux si on arrête de se prendre la tête tout le temps. »l

TEXTE LAURENT RAPHAëL

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