Journal d’un cinéaste

Le Jeune Ahmed © National

Luc Dardenne dévoile le troisième volume de son journal de travail, Au dos de nos images, véritable plongée au cœur de son processus artistique.

Suite à l’échec du premier long métrage de fiction réalisé avec son frère Jean-Pierre, Luc Dardenne a commencé à tenir une sorte de carnet de bord relatant ses doutes, ses questionnements, ses enthousiasmes ou ses inspirations tout au long de l’écriture de ses films suivants. La période couverte par ce troisième tome va de 2014 à 2022, soit durant la rédaction des scénarios de La Femme inconnue, Le Jeune Ahmed et Tori et Lokita (scénarios que l’on retrouve à la fin de l’ouvrage).

Luc Dardenne parle donc scénario, mais aussi mise en scène. Il propose en passant une sorte d’anatomie du cinéma qu’il pense et crée avec son frère, abordant des points qui en sont constitutifs, osant même parfois quelques définitions fugaces, tout sauf définitives, ce qui nous vaut quelques saillies comme “nous sommes des handicapés du plan large comme nous sommes des handicapés de la musique”. Ou encore: “C’est contre cette facilité, ce destin de l’intrigue, que nous nous battons avec notre personnage. Nous essayons que son indépendance survienne, qu’il se rebiffe, se révolte, échappe à notre intrigue le conduisant à la mort.

© National

C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans ce journal, les atermoiements du destin du personnage, avant qu’il ne soit fixé sur pellicule. La façon dont ce dernier s’anime, comme maître de son destin. C’est le cas en particulier du jeune Ahmed, destiné par les auteurs à mourir, mais qui va finalement (re)vivre au cinéma. Ce petit fanatique” leur donne du fil à retordre. Le journal est tragiquement rythmé par les attentats islamistes qui endeuillent l’Europe à partir de janvier 2015. Ces fanatismes représentent un enjeu majeur de la pensée à l’œuvre de Luc Dardenne. On observe d’ailleurs le glissement du film “social” vers le film “politique”, ce que l’on retrouvera dans la volonté de dénonciation qui sous-tend l’écriture de Tori et Lokita.

Fascinant justement de les voir surgir, Tori et Lokita, eux que l’on devine à peine dans la silhouette esquissée d’un jeune couple amoureux uni par la musique, qui va devenir un duo amical soudé par une chanson. à eux deux, ils deviennent film. Il y a aussi tous ceux que l’on croise, et qui ne transformeront jamais l’essai. Car le livre, “mémoire commune” des recherches scénaristiques des deux frères, nous donne aussi à voir les embryons d’histoires, et les rouages de la création.

Au dos des images de Luc Dardenne, on trouve aussi celles des autres. Son journal recense ainsi les films (re)vus et aimés, s’attarde aussi bien sur le cinéma de Panahi que celui d’Hitchcock, d’Akerman ou d’Ozu, sur ses lectures aussi, et, de temps à autres, les émotions que suscite chez lui l’actualité. En somme, un complément précieux et passionnant à une filmographie dense et exigeante, qui s’éclaire un peu plus au fil des pages.

Au dos de nos images III (2014-2022)

de Luc Dardenne, éditions du Seuil, 448 pages.

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