Avec Vengeance, Johnnie To, l’un des maîtres du cinéma hong-kongais, offre à Johnny Hallyday un rôle sur mesure, à l’ombre de Melville.

En forçant un peu le trait, on écrirait que Johnny Hallyday doit une fière chandelle à Alain Delon. Entendez que le rôle qu’il incarne dans Vengeance, le nouveau film de Johnnie To, dont il attend à l’évidence qu’il (re)lance sa carrière d’acteur, était d’abord destiné à la star du Samouraï. Delon ayant décliné la proposition, la production avança le nom du chanteur, inconnu toutefois du cinéaste. Une rencontre plus tard, et l’affaire était pliée: Johnny Hallyday prêterait ses traits et surtout son regard à Costello, ex-tueur reconverti dans la restauration, et débarquant un jour à Hong Kong pour y venger la famille de sa fille, décimée.

Alors qu’on le rencontre sur une terrasse à portée de clameur des marches du Palais, Johnnie To confesse, encore sous le charme, n’avoir pris conscience que la veille, lors de la projection officielle du film au Festival de Cannes, de l’étendue de la notoriété de son acteur-chanteur. « Je savais qu’il était populaire en France, mais ce n’est qu’hier, en voyant cette foule en délire hurlant « Johnny, Johnny! » lors de la cérémonie du tapis rouge, que j’ai réalisé à quel point… » Et de décrire, ensuite, l’impression indélébile que lui laissa d’emblée le comédien: « La première fois que Johnny et moi nous sommes rencontrés, c’était dans son restaurant. Je suis rentré, et j’ai vu cet homme, assis seul à une table, avec une cigarette et un costume noir, comme l’homme du film. Immédiatement, rien qu’à observer son apparence physique, j’ai eu le sentiment que Costello, c’était lui. Son visage, et son vécu apportaient déjà énormément au rôle. Je n’avais pas à lui demander d’en faire plus, ou à essayer d’être différent: il ne lui fallait qu’être lui-même. » Le reste ne serait, pour ainsi dire, que littérature, tant Vengeance cultive un sens aiguisé du laconisme – la seule présence de Johnny y tient lieu de performance, inscrite dans un rapport fascinant au cadre.

Si proche, si loin

C’est là, en effet, l’une des marques de fabrique d’un Johnnie To pour qui l’espace apparaît, par endroits, comme la matière même du film. Ainsi, notamment de Macao, qui prête ses rues et son architecture à diverses scènes clés: « Géographiquement, Macao est fort proche de Hong Kong. Mais c’est surtout une ville à la culture et l’apparence tout à fait singulières: de nouveaux éléments s’y sont superposés à son passé colonial. En dépit de sa proximité, je peux y trouver quelque chose de fort différent, visuellement, de Hong Kong. Le décor le plus significatif à mes yeux reste toutefois la forêt où nous avons tourné la fusillade à la lueur de la lune. Nous avons en fait combiné trois endroits différents, la pénombre me permettant de passer de l’un à l’autre sans en rien trahir pour le spectateur. »

Pivot du film, cette scène en est aussi l’un des morceaux de bravoure, modèle de chorégraphie millimétrée où le temps apparaît comme suspendu au bout du canon des protagonistes. « Je n’utilise pas de storyboards pour les scènes d’action, je me fie à l’image que j’en ai. Le plus important est de savoir comment les lier à l’histoire et aux personnages, pour qu’il ne s’agisse pas d’un élément tombé de nulle part. » Ainsi, donc, de cette scène lunaire: « Si on y joue à cache-cache avec la lune, qui apparaît, disparaît puis reparaît, c’est pour traduire l’état d’esprit de Johnny Hallyday. Nous savons qu’à ce stade de l’histoire, il perd la mémoire. On le voit donc dans la pénombre, avant qu’il revienne à la lumière, j’utilise ce motif en écho à ce qu’il est en train de traverser. «  Non sans, par ailleurs, inscrire la scène dans une perspective plus large: « Ces tueurs doivent retenir leurs balles jusqu’au moment où la lumière revient. Aussi puissants soient-ils, la nature est toujours la plus forte… »

On y verra aussi l’expression d’une fatalité qui, parmi d’autres éléments, rapproche Vengeance d’un film noir, qu’il détournerait toutefois de son cadre initial. « Les cinéastes que j’admire, Akira Kurosawa, Sam Peckinpah, ont créé leur propre style en s’appliquant à raconter les histoires qu’ils voulaient. M’étant nourri de leurs films, je veux aussi que les miens portent ma griffe: il est important, à mes yeux, que les éléments propres au film noir soient équilibrés par d’autres, où s’exprime un humour noir. On voit bien que Melville, lorsqu’il écrivait ses scénarios, s’affranchissait des conventions narratives. C’est ce que je souhaite faire également: je combine des éléments que j’apprécie, et j’essaye d’en faire quelque chose de différent, d’original. » Procédé qu’il pourrait mettre prochainement à l’épreuve d’un remake du Cercle rouge, de Melville justement. Avec Johnny, bien sûr… l

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes

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