Critique | Musique

John Coltrane – Sun Ship (The Complete Session)

John Coltrane © Chuck Stewart
Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

JAZZ | Retrouvée en 2001, la session de Sun Ship a fait l’objet d’un double CD, devenu instantanément l’un des fleurons de la discographie de Coltrane…

John Coltrane - Sun Ship (The Complete Session)
© DR

Comme beaucoup de musiciens disparus à la fleur de l’âge et au sommet de leur créativité, John Coltrane (1926-1967) a laissé derrière lui un nombre conséquent d’enregistrements (sept au total) qui ne seront publiés qu’après sa mort et souvent longtemps après elle. C’est le cas de Sun Ship qui, datant du 26 août 1965 -année la plus prolifique de sa carrière puisqu’elle ajoutera, post mortem, quatre autres titres à la discographie du musicien-, n’est paru qu’en 1971. Comprenant cinq morceaux, Sun Ship, Dearly Belove, Amen, Attaining et Ascent, l’album constitue le chant du cygne du quartette « classique » de Trane. Composé, outre le leader, du pianiste McCoy Tyner, du contrebassiste Jimmy Garrison et du batteur Elvin Jones, ce combo devenu mythique n’aura connu qu’une existence finalement brève puisque comprise entre les premières séances d’enregistrement de Ballads (décembre 1961) et First Meditation, enregistré une semaine après Sun Ship. Le divorce latent entre Tyner, Jones et Trane, depuis l’intérêt marqué de celui-ci pour le free jazz, se révèle particulièrement sensible dans cette Complete Session où les tensions musicales entre eux deviennent presque palpables. Coltrane s’est mis en effet à dériver de plus en plus loin de la dentelle chromatique du pianiste (qui prendra toutefois deux beaux solos dans Sun Ship et Amen) et des figures polyrythmiques du batteur, l’un et l’autre semblant bien loin des défis que leur pose un saxophoniste avançant à pas de géant (comme s’il savait que le temps lui était compté) vers la conquête de plus de liberté encore.

Considéré comme mineur, l’album de 1971 est définitivement renvoyé aux oubliettes par ce formidable Sun Ship – The Complete Session, lequel expose parfaitement les raisons de l’accueil mitigé réservé à l’original lors de sa sortie: les morceaux publiés à l’époque, à l’exception de la seconde prise d’Amen utilisée telle quelle, ont tous fait l’objet d’un montage mélangeant plusieurs prises, pratique déjà courante à l’époque et que Coltrane approuvait, mais qui, dans ce cas, a considérablement appauvri le potentiel de chacun d’eux. En nous offrant au moins une version complète sinon parfaite de chacun d’entre eux rétablis dans leur intégrité première, The Complete Session nous fait redécouvrir des compositions infiniment plus profondes et vivantes que celles écoutées jusque-là -les relations tendues existant entre les musiciens exacerbant même leur potentiel dramatique. Enfin, cette édition de bien meilleure qualité sonore que le LP originel ou le CD des années 90, permet de constater combien la sonorité du saxophoniste a évolué au fil du temps, devenue désormais rugueuse et possédant un vibrato impressionnant, en prélude aux ouragans sonores encore à venir.

  • John Coltrane, Sun Ship – The Complete Session, Impulse! B0018075-02 (Universal).

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