Jean Marc Turine: « J’ai voulu rendre hommage à la transmission orale puisque les Roms n’écrivent pas »

Jean Marc Turine rend justice aux victimes jamais prises en considération. © Gael Turine/MAPS
Anne-Lise Remacle Journaliste

Le Belge Jean Marc Turine est le lauréat du prix des 5 Continents de la francophonie pour La Théo des fleuves. Un roman âpre et lyrique qui met en scène le destin tragique des Roms à travers le récit d’une « négresse blanche » émancipée.

Dans le salon de son appartement d’Ixelles qui témoigne de ses nombreux voyages, Jean Marc Turine, 72 ans, écrivain et réalisateur sonore, nous confie sa joie d’avoir été couronné par le prix des 5 Continents de la francophonie: « Ce sont de vrais amoureux des livres qui élisent le roman gagnant. Et je suis enchanté à l’idée de faire les missions sur le terrain que suppose le prix : voyager avec le roman dans d’autres pays et participer au jury de l’année à venir. « Permettant » de mettre en lumière des talents littéraires reflétant l’expression de la diversité culturelle et éditoriale en langue française sur les cinq continents », le prix est décerné par un jury international d’écrivains prestigieux (dont Ananda Devi, Vénus Khoury-Ghata, Lyonel Trouillot ou Jean-Marie Gustave Le Clézio – et duquel Turine fera partie l’an prochain) parmi une sélection initiale effectuée en France, au Canada, au Sénégal, en Belgique et au Congo Brazzaville. Le fait, pour Jean Marc Turine, d’avoir reçu cette récompense à Erevan (où se tenait cette année le XVIIe sommet de la Francophonie) n’est bien sûr pas anodin: c’est dans cette ville que se trouve le Tsitsernakaberd, monument dédié aux victimes du génocide arménien de 1915-1916, qui a précédé celui des Juifs mais aussi celui des Tsiganes (Samudaripen) pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’auteur bruxellois, père du photo- reporter Gaël Turine, est habité par l’importance du devoir de mémoire: « Avec La Théo des fleuves, j’ai voulu rendre hommage à la transmission orale puisque les Roms n’écrivent pas. Pour eux, la musique fait office de littérature et d’histoire. » Son roman raconte un siècle (le XXe) de splendeurs et malheurs tsiganes à travers l’histoire de la vieille et fière Théodora et celles d’Aladin, Joseph, Nahum, qui ont tous bivouaqué dans sa vie, faite de routes choisies et d’exils forcés.

La Théo des fleuves, par Jean Marc Turine, éd. Esperluète, 224 p.
La Théo des fleuves, par Jean Marc Turine, éd. Esperluète, 224 p.© DR

Accueilli comme un ami par Marguerite Duras et Dionys Mascolo à partir de 1971, le Belge coréalisera un long documentaire sur leur groupe d’intellectuels, avec leur fils, Jean (Autour du groupe de la rue Saint-Benoît): « A 24 ans, ils m’ont véritablement ouvert au monde. Pas politiquement, parce que j’étais suffisamment dans la colère par rapport à la société. » Une position en coulisses qui définit aussi sa façon d’envisager son travail: « Ce qui m’intéresse, c’est ce que dit la personne qui me fait face. C’est parce que je vois autour de moi des situations insoutenables que je ne peux pas passer ça sous silence. »

La Théo des fleuves (au départ feuilleton conçu pour France Culture) s’inscrit dans la galaxie de ses oeuvres (sonores, filmiques ou littéraires, fictionnelles ou documentaires), perforées par la folie des hommes. De Gesualdo en 2003, histoire d’un compositeur de la Renaissance perpétrant un crime passionnel, à Foudrol en 2006, portrait d’un personnage inspiré par son grand-père « médecin rentré un peu cinglé des tranchées de 14-18 », en passant par Liên de Mê Linh en 2014 sur les dommages de l’agent orange au Vietnam, Jean Marc Turine parcourt le temps et les territoires. Il y creuse des sillons opiniâtres et hantés, de ceux qui tentent de rendre justice aux victimes jamais prises en considération. De quoi inverser le sort de « l’instant présent », parfois le seul supportable pour ceux qui ont été marqués, peau, coeur et tête, par des traumatismes indicibles.

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