Michael Mann retrace, de l’intérieur, l’épopée de John Dillinger gangster qui, sous la Grande Dépression, fit la nique aux autorités américaines…

Dans l’histoire du banditisme en Amérique, John Dillinger a pratiquement rang de mythe, celui de l’homme qui, sous la Grande Dépression, allait, pendant treize mois, faire la nique aux autorités en détroussant banque sur banque, et en y ajoutant le style encore bien. John Milius lui avait en son temps consacré un film, c’est aujourd’hui au tour de Michael Mann de tenter un recadrage du gangster avec Public Enemies, polar exceptionnel ajoutant à une parfaite exécution une perspective singulière – au c£ur de l’action, et nulle part ailleurs. « Je voulais une plongée en 1933 et non pas un regard sur 1933 ou une sorte d’historique qui suivrait pas à pas, pour ainsi dire à la troisième personne, Dillinger, explique le réalisateur, de passage à Paris. Il fallait que le spectateur expérimente la vie de Dillinger lui-même, comment il était, ce qu’il pensait et ce qui l’avait emmené là. « 

Mann, à qui l’on doit des £uvres majeures comme Heat, The Insider ou Ali navigue ici en terrain familier, celui du film de gangsters. « Le genre en lui-même me fascine, approuve-t-il. J’ai été élevé à Chicago, et c’est un territoire que je connais bien. Ce genre est ma façon d’approcher le drame et la vie, tout à fait unique, de Dillinger. Pensez qu’il n’a pas eu une, mais trois vies en treize mois. C’est cette intensité brûlante qu’il a mise à vivre sa vie qui m’a fasciné. »

De fait, le personnage de John Dillinger est assurément peu banal: « Ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est sa pensée, poursuit le cinéaste. Il n’était pas dans le futur, il n’était pas dans la conséquence, il n’était pas dans le lendemain, ni à se dire qu’avec 5000 dollars, il pourrait aller au Brésil. Au contraire, tout était dans l’intensité, l’immédiateté, le présent. A bien y réfléchir, c’est une proposition philosophique étrange: il n’y a pas de base existentielle à sa vie. Ce qui explique aussi que, sorti de prison, il en ait eu une vision aussi enivrante… » Laquelle s’inscrit, du reste, dans un imaginaire et un rapport au destin typiquement américains, celui qui irrigue des expressions populaires façon  » Il y a forcément quelque part une balle qui porte ton nom« , ou une £uvre comme le Mort dans l’après-midi de Hemingway. Vision de la vie qui, combinée à la dimension « romantique » du personnage, en fait pratiquement un anachronisme: « Sociologiquement parlant, John Dillinger a encore une mentalité du XIXe. L’ère moderne commence dans les années 20, avec les voitures, le progrès, et lui a plus à voir avec le passé. Les brigands « intelligents », ce sont les Frank Nitti, ceux qui introduisent la sophistication, le jeu.. . C’est le moment où le crime bascule dans le capitalisme de corporatisme, alors que Dillinger est presque de l’époque de La Horde sauvage , de Peckinpah. »

Depp, l’ennemi public

Non, toutefois, qu’il ait été totalement étranger à son temps: « Il était très sophistiqué dans l’art de manipuler son image et les médias, observe Mann, intarissable sur la question. Et s’il était aussi célébré, c’est parce qu’il faisait ce que les Américains eux-mêmes, touchés par la crise, auraient rêvé de faire: s’attaquer aux banques et au système. Nous sommes alors dans la quatrième année de la Grande Dépression, sans commune mesure avec la crise que nous connaissons aujourd’hui. »

Pour interpréter ce personnage charismatique à la geste tragique, le cinéaste a jeté son dévolu sur Johnny Depp – une évidence. « J’ai toujours ressenti en Johnny Depp une dualité qui me semblait juste par rapport au personnage de Dillinger. Deux choses me paraissaient essentielles: établir une relation intime entre le public et Dillinger, et voir Johnny Depp jouer un rôle de dur. Je voulais qu’il développe un jeu différent de ce qu’il avait fait récemment. Je trouve toujours intéressant qu’un acteur se trouve à la frontière entre des rôles: la situation n’est pas confortable, mais elle permet d’accéder à une plus grande richesse de jeu. La vérité de Dillinger est très proche de l’interprétation qu’en fait Johnny Depp. » Que l’on ne saurait mieux qualifier que de magistrale. Pour peu, on aurait pu intituler le film Being John Dillinger…

Entretien Jean-François Pluijgers, à Paris

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