Invader, l’artiste qui pixellise les grands maîtres expose ses oeuvres rubikcubistes au MIMA

À travers ses œuvres rubikcubistes, Invader réalise des images dont on ne prend la mesure qu’à une certaine distance. © Self-portrait with cubes Invader
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

L’artiste caché sous le nom d’Invader investit le MIMA avec une centaine d’œuvres témoignant d’une facette inclassable de son travail: le Rubikcubisme. Interview.

Comment interpréter son repli vers l’intérieur? Est-il désormais un artiste en pantoufles? Autant de questions qui taraudent lorsque l’on discute par ordinateurs interposés avec Invader. Réputé pour son travail dans la rue, l’intéressé assure qu’il pousse la porte du MIMA avec le même frisson que celui qui parcourt son échine lorsqu’il agit dans la plus grande illégalité. “Les pratiques sont différentes mais l’aventure, la découverte, le risque, l’adrénaline sont présents sur les deux terrains”, assure-t-il. Preuves à l’appui.

Quand et comment avez-vous eu la révélation du rubikcubisme?

En 2003, j’ai été invité à participer à une exposition de groupe à New York qui s’intitulait While You Were Playing Rubik’s Cube. J’ai alors réalisé des mosaïques sur le thème du Rubik’s Cube pour les installer dans les rues. J’ai aussi produit une carte et un kit d’invasion reprenant l’esthétique du cube. Faire entrer cet objet dans mon univers m’est apparu comme une évidence car non seulement il s’agissait comme pour les space invaders d’un jeu iconique de la fin des 70’s mais, en plus, tous deux étaient constitués de petits carreaux colorés, les pixels pour l’un et les facettes de six couleurs pour l’autre. De retour en France, j’ai donc commencé à acheter des Rubik’s Cubes que je chinais dans des brocantes et un an plus tard j’ai réalisé Rubik Space One, une première petite sculpture composées de neuf cubes. Le résultat m’a semblé assez intéressant pour continuer cette expérimentation. J’ai cette fois été me fournir chez des grossistes de jouets pour les acheter par dizaines, puis par centaines, puis par milliers, au fur et à mesure que j’avançais dans mes expérimentations. Il s’agissait au départ de sculptures représentant des créatures de jeux vidéo et des icônes issues de l’informatique. Puis, je me suis peu à peu orienté vers un système me permettant de représenter des images figuratives. En 2005, j’ai baptisé cette technique “Rubikcubisme” et je ne me suis, depuis, jamais arrêté.

Rubik Self-Portrait With Cube
Rubik Self-Portrait With Cube © Invader

Est-ce que vous réservez cette partie de votre travail pour les galeries et les musées, tandis que les mosaïques sont destinées à l’art urbain?

Non, ça n’est pas aussi binaire, il m’arrive d’utiliser des carreaux de céramique pour les galeries et les musées. À l’inverse, j’ai plusieurs fois collé directement des Rubik’s Cubes dans les rues. L’effet produit était assez surprenant mais j’ai rapidement réalisé que contrairement aux carreaux de céramique, les cubes résistaient beaucoup moins bien aux intempéries et notamment aux UV qui décoloraient la couleur des facettes.

Est-ce que vous créez les œuvres vous-même ou vous laissez le soin à des assistants de manipuler les cubes?

Je vous avouerai en avoir réalisé moi-même quelques dizaines. Puis, j’ai formé des assistants qui aujourd’hui les tournent à ma place. Cela dit, dès que je passe près d’une pièce en cours de réalisation, je ne peux m’empêcher de tourner quelque cubes car c’est agréable à faire, très satisfaisant: chaque cube à tourner est un mini-challenge. Il y a là quelque chose de très ludique.

Rubik Little Jesus
Rubik Little Jesus © Invader

Avez-vous une idée du nombre de cubes utilisés jusqu’ici?

J’en ai utilisé des dizaines de milliers. Au départ, il s’agissait de faux Rubik’s Cubes car les vrais coûtaient beaucoup trop cher. Je me souviens que pour une exposition à Los Angeles, nous avons écumé tous les marchands de la ville. Chaque matin, nous partions à la chasse et nous en ramenions des sacs ou des valises pleines, puis je les tournais dans la journée pour créer les œuvres qui allaient être exposées quelques jours plus tard. En 2009, je me suis rendu à Budapest pour rencontrer Ernö Rubik, l’inventeur du cube, et il m’a recommandé aux détenteurs de la licence qui ont accepté de m’en vendre à un prix raisonnable. Aujourd’hui, je travaille donc avec de vrais Rubik’s Cubes, qui sont de bien meilleure qualité et beaucoup plus faciles à tourner.

Rubik Agent Smith
Rubik Agent Smith © Invader

Vous avez donné naissance à un mouvement, des anonymes imaginent des œuvres, comment évitez-vous le kitsch que pourrait entraîner la prolifération d’œuvres issues d’images banales?

Ce qui est drôle c’est que j’ai créé le néologisme de Rubikcubisme par jeu et comme un clin d’œil aux grands mouvements artistiques précédents. J’étais alors le seul à le pratiquer mais le concept s’est répandu et a fait école puisqu’aujourd’hui, il y a toutes sortes de personnes à travers le monde qui se réclament du Rubikcubisme. Bon, c’est vrai que peu d’entre elles m’ont impressionnées par la qualité de leur production, mais je ne suis pas responsable du travail des autres artistes.

Considérez-vous vos œuvres comme des peintures ou des sculptures?

Ces objets ressemblent à des tableaux mais ils sont réalisés sans peinture, ils ont une tranche et une profondeur qui est visible. Parfois même, ils sont conçus pour être vus des deux côtés. D’un autre côté, ce ne sont pas non plus tout fait des sculptures car beaucoup d’entre eux sont collés sur des panneaux pour être accrochés au mur… sans que l’on puisse tourner autour. Ils sont donc finalement inclassables, ce sont des ovnis de l’art!

Roiro
Roiro © Invader

Quel rapport à l’image instaure une pièce rubikcubiste?

Il me semble que ce procédé contemporanéise les images que je m’approprie car cela leur confère une esthétique digitale. Aujourd’hui, avec les ordinateurs et les écrans des smartphones, on visionne chaque jour cent fois plus d’images numériques que d’images réelles. Toutes ces images sont composées d’une base de pixels et les pièces rubikcubistes font justement apparaître ce pixel. C’est pourquoi je pense qu’elles collent parfaitement à notre époque.

Invader Rubikcubist, du 24/06 au 08/01 au MIMA, à Bruxelles. www.mimamuseum.eu

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