Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

DOCUMENTAIRE DE JOSHUA OPPENHEIMER.

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« Il est défendu de tuer. Tout meurtrier est puni. A moins qu’il n’ait tué en grande compagnie. Et au son des trompettes. » Ces phrases de Voltaire qui ouvrent le documentaire coup de poing -c’est un euphémisme- de Joshua Oppenheimer collent on ne peut mieux à The Act of Killing (son titre original). L’histoire invraisemblable de tortionnaires cinéphiles, protégés et glorifiés par un pouvoir corrompu, qui retournent sur les lieux de leurs crimes, racontent et reconstituent sans remords, et même avec une certaine jubilation, les séances de tortures et de meurtres dont ils furent il y a 50 ans les auteurs. Allant jusqu’à tourner des scènes « mêlant humour, romance et sadisme. (…) Quelque part entre James Bond et les films de nazis. »

Dépourvu de commentaire, d’une violence psychologique rare, dérangeant, glaçant même, The Act Of Killing s’intéresse au génocide indonésien de 1965. Au massacre de tous ces syndicalistes, paysans sans terres, intellectuels et Chinois (plus d’un million au total), considérés comme communistes et assassinés sans pitié par des organisations paramilitaires et des gangsters sous la bénédiction des autorités et du général Suharto.

Il faut écouter Anwar qui a tué plus de 1000 personnes en les étranglant avec un câble et dit regretter de… porter un pantalon blanc lors d’une reconstitution (« je donne l’impression d’aller à un pique-nique »), regarder fanfaronner ces fans de John Wayne, de Marlon Brando et d’Al Pacino (« on était plus cruels que les films« ), ou encore voir cet homme de presse qui faisait en sorte qu’on déteste les communistes mais ne les tuait pas (« j’avais des hommes pour ça; il me suffisait d’un clin d’oeil ») pour s’imaginer le peu de regrets et de compassion qui effleure ces bourreaux. « La notion de crime de guerre est définie par les vainqueurs. J’ai gagné. Donc, je peux établir ma propre définition. Je n’ai pas besoin de suivre les visions internationales, avance l’un d’entre eux. Les Américains ont exterminé les Indiens. Qui les punit pour ça? »

Imaginez que Benoît Poelvoorde ait vraiment commis tout ce qu’il raconte dans C’est arrivé près de chez vous ou que des soldats allemands de la Seconde Guerre mondiale reconstituent en rigolant des scènes d’extermination, et vous aurez une vague idée du malaise qui vous attend. Présenté comme le premier volet d’un diptyque -le deuxième documentaire devant donner la parole aux victimes-, The Act of Killing pousse le spectateur et le cinéma documentaire dans leurs retranchements. Brillant, terrifiant et questionnant.

JULIEN BROQUET

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