CÉSARISÉE POUR LE NEUF MOIS FERME D’ALBERT DUPONTEL, AVANT D’INTÉGRER L’UNIVERS D’ALAIN RESNAIS DANS AIMER, BOIRE ET CHANTER, SANDRINE KIBERLAIN S’ÉPANOUIT AU GRÉ DE CHOIX ON NE PEUT PLUS PERSONNELS

2013 restera comme une année faste pour Sandrine Kiberlain: inspectrice décalée chez Serge Bozon (Tip Top), Simone de Beauvoir pour Martin Provost (Violette) ou juge coincée chez Albert Dupontel (Neuf mois ferme), la comédienne aura joué, avec bonheur, de registres divers, et jusqu’aux plus insoupçonnés. La pâte dont l’on fait les millésimes d’exception, dûment sanctionné celui-ci par le César de la meilleure actrice. Une distinction dont elle nous confiait, à Berlin, qu’elle lui ferait particulièrement plaisir « par rapport à mon chemin d’actrice, mais aussi parce que j’adore cette année du cinéma français qui met à l’honneur des films extrêmement insolites et personnels. » Ce n’est pas Guillaume Gallienne qui la contredira…

En matière d’insolite, la voilà servie avec Aimer, boire et chanter (lire critique page 34), le film qui la voit intégrer l’univers d’Alain Resnais, qui fut assurément l’un des cinéastes les plus singuliers de sa génération. Resnais, elle en rêvait, pour ainsi dire. Au point de lui écrire, il y a quelques années de cela, non point pour solliciter un rôle, prend-elle le soin de préciser, mais pour lui faire savoir son admiration. « Je lui ai écrit parce que j’avais vu Coeurs, pour lui dire que j’aimais son cinéma depuis toujours. Je ne pouvais pas, en tant qu’actrice, ne pas lui témoigner cela… » La réponse du metteur en scène viendra quelques années plus tard, lorsqu’il lui offrira le rôle de Monica dans son dernier opus. Soit l’un des six personnages gravitant autour de George Riley, individu n’ayant plus que quelques jours à vivre, et pivot de cette oeuvre testamentaire, comme l’était avant lui une autre figure brillant par son absence à l’écran, le metteur en scène de Vous n’avez encore rien vu. « Ce personnage nous remet face à nos vies, observe- t-elle au sujet de ce dispositif singulier. C’est comme si, face à cette urgence-là, on se posait tous la question de savoir si on est bien à l’endroit où il faut qu’on soit. C’est le prétexte pour se poser les bonnes questions: chaque personnage est remis en question par George, qu’on ne voit pas, mais qui est omniprésent, en fait. Un peu comme Alain en ce moment, qui n’est pas là, mais qui est partout » –Resnais, en effet, n’avait pas fait le déplacement de la Berlinale, laissant à ses acteurs le soin de le représenter.

Imposer sa vision

Le cinéma de l’auteur de Hiroshima mon amour, Sandrine Kiberlain l’a découvert au milieu des années 80, avec Mélo. Et d’évoquer la profondeur mais aussi l’honnêteté d’un film lui ayant laissé une impression indélébile: « Cela ne ressemblait à rien, tout en étant tout ce que j’aimais, dans le sens où il me laissait une grande liberté d’interprétation (…). Et cela parlait d’amour, mais avec beaucoup de profondeur: l’amour comme on a envie d’en entendre parler au cinéma. J’avais l’impression d’un homme qui savait ce qu’était d’aimer, de s’offrir. » Sentiment conforté au fil d’une oeuvre trouvant chez elle quelque résonance intime, sans pour autant qu’il y ait là d’explication objective: « Est-ce qu’on sait pourquoi on tombe amoureuse de telle personne? Moi, j’ai aimé ses films, mais s’il me fallait analyser pourquoi… Quand on est actrice et qu’on les voit, on sent combien c’est un cadeau de travailler avec lui, parce qu’on sent son amour des acteurs. Et en même temps, tous ses films sont très risqués et très personnels. Pour un cinéaste, ce qui compte à mes yeux, c’est sa personnalité, son originalité, sa façon d’être imperturbable et d’imposer son univers. Alain impose sa vision du monde, sa vision des choses, l’air de rien. Et moi, cela a traversé ma vie, Truffaut, lui, et voilà… » Et de s’attarder, encore, sur l’expérience d’un tournage à nul autre pareil, où le metteur en scène aura laissé libre cours à son goût de l’invention. Disposition aventureuse encouragée par ses comédiens, tant il est vrai que l’artiste n’est jamais « gratuitement inventif. On sait que c’est toujours au service de l’histoire et des personnages. »

Quoique leurs films soient fort éloignés, l’actrice n’hésite pas à opérer un rapprochement entre Resnais et… Albert Dupontel, réalisateur de Neuf mois ferme: « J’ai eu une grande chance de travailler, pour le coup, avec deux metteurs en scène très personnels, très exigeants, et dont le cinéma ne ressemble à aucun autre. Ils ont la même intégrité et la même honnêteté. Ils sont très différents, mais ce sont de vraies personnalités. Et de vrais films insolites qui ne ressemblent à rien d’autre qu’à eux-mêmes… » Qualité qui, pour elle, tient à l’évidence de la vertu cardinale. A l’heure des choix, Sandrine Kiberlain aura encore privilégié le Tip Top de Serge Bozon, ovni cinématographique patenté, à un Boule et Bill sans risque mais aussi sans passion –« Boule et Bill, vous pouvez vous acheter un appartement. Mais Tip Top, vous vous regardez dans la glace, et vous vous dites que cela vous ressemble, et que c’est ça que vous voulez faire… », relève-t-elle, sans en tirer une quelconque vanité. Une affaire de goût, doublée d’une profession de foi.

A l’entendre parler passionnément de son métier et de son art, la conviction s’impose d’ailleurs bientôt que l’on n’a, peut-être, encore rien vu, en effet. « Les films français qui ont marché l’année dernière n’étaient pas gagnés d’avance. Cela montre que ce sont des films qu’il faut continuer à faire. Aujourd’hui, les gens veulent des histoires, et être transportés par des émotions, comme on le voulait d’ailleurs à l’époque de Truffaut ou d’Alain Resnais. J’ai l’impression que cela revient très fort, et que l’on a envie de voir des films qui changent nos vies, avec un autre regard. »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin, ILLUSTRATION Isabelle Merlet

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