BALADE DANS LA FILMOGRAPHIE D’ALEXANDER PAYNE, RÉALISATEUR PROMENANT UN REGARD SINGULIER SUR LA RÉALITÉ ÉTATS-UNIENNE…

A la toute fin de Election, le film qui révélait Alexander Payne en 1999, et après avoir connu bien des avanies l’ayant conduit jusqu’à la disgrâce, Jim McAllister (Matthew Broderick), le protagoniste central de l’histoire, a cette profession de foi, que semblent vouloir corroborer les faits: « Ce qui est formidable avec l’Amérique, c’est que l’on peut toujours y recommencer. » S’agissant de l’oeuvre du réalisateur originaire de Omaha, Nebraska, la réflexion a pour ainsi dire valeur de leitmotiv: si son cinéma offre du rêve américain une vision régulièrement écornée, Payne veille aussi toujours, question d’empathie sans doute, à laisser à ses personnages, fin suspendue à l’appui, l’espoir d’une seconde chance. Laquelle pourrait adopter des formes diverses, d’ailleurs, à savoir, par exemple, la perspective, pressentie, d’une nouvelle vie attendant Paul Giamatti à la fin de la balade viticole de Sideways; à moins qu’il ne s’agisse simplement de retrouver un sens à leur existence (ainsi de Warren Schmidt, le vieil atrabilaire joué par Jack Nicholson dans About Schmidt). Ou encore de les voir reconsidérer ce qui était donné pour acquis -disposition que brusqueront les événements pour George Clooney et les siens dans The Descendants.

Adepte du road-movie (du Nebraska au Colorado et retour, dans About Schmidt; sur la route des vins californiens dans Sideways; du Montana au Nebraska, encore, dans Nebraska), Payne n’a cessé d’arpenter l’arrière-pays américain (et jusqu’à Hawaï, dépeint à l’abri de l’imagerie d’Epinal dans The Descendants), manière avisée de prendre le pouls d’une nation-continent. Si l’humeur de ses toiles est généralement chaleureuse, la matière est pourtant plus sensible qu’il n’y paraît, où affleurent arrivisme, égoïsme ou encore cupidité, parmi d’autres thèmes que le réalisateur a le chic d’aborder sans avoir trop l’air d’y toucher (ou alors en mode satirique, comme dans Election). Jusqu’à donner à voir, dans son dernier film, et sous couvert d’une équipée absurde, le négatif d’un pays durement frappé par la crise. Tourné dans un noir et blanc propice à la mélancolie (on songe, par endroits, à The Last Picture Show de Peter Bogdanovich), Nebraska semble convier, au gré de paysages laconiques condensant l’americana, les fantômes d’une Amérique dont le fantasme se serait brisé sous les assauts de la réalité. Le Mont Rushmore fait encore partie du décor, certes, mais l’incroyable dénouement de La Mort aux trousses a cédé le pas à l’évidence du marasme. L’on croirait presque à un no man’s land si Payne ne s’intéressait de manière aussi obstinée à ceux qui l’habitent, oubliés de l’Amérique et autres laissés-pour-compte du cinéma hollywoodien sur lesquels il porte, pour sa part, un regard bienveillant. Soit ces vieux, petits gens, individus simplement ordinaires, barjots… qui composent une humanité cernée dans sa banalité douce-amère, par-delà la recherche de soi qui anime des personnages confrontés aux aspérités de l’existence. A mi-chemin du miroir et du mirage de la vie, son cinéma y gagne un territoire particulièrement stimulant: « Il était une fois en Amérique », en effet…

TEXTE Jean-François Pluijgers

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