UN SOMPTUEUX COFFRET RÉUNIT QUATORZE FILMS DU MAÎTRE DU SUSPENSE SUR SUPPORT BLU-RAY. ALFRED HITCHCOCK N’AVAIT JAMAIS ÉTÉ AUSSI BIEN SERVI: VERTIGO GARANTI

« Le génie d’Hitchcock n’a pas seulement changé le cinéma, il a modifié notre regard sur le monde. » Empruntée à Guillermo Del Toro, la citation traduit parfaitement l’impact extraordinaire qu’a eu l’oeuvre du maître du suspense sur son temps et au-delà. Trente-deux ans après sa mort, le 29 avril 1980 à Los Angeles, Alfred Hitchcock semble d’ailleurs toujours omniprésent. Ce ne sont ainsi non pas un, mais deux biopics qui lui seront consacrés en 2013: réalisé par Sacha Gervasi et sobrement baptisé Hitchcock, le premier se déroule dans les coulisses du tournage de Psycho; quant au second, intitulé The Girl et dû à Julian Jarrold, il investit le plateau de The Birds; à croire qu’il y a là une manne inépuisable. Parallèlement, la US National Film Preservation Foundation a annoncé la diffusion, sur son site, de The White Shadow, de Graham Cutts, l’un des tout premiers films auxquels participa Hitch, en qualité notamment d’assistant-réalisateur, toile miraculeusement retrouvée en Nouvelle-Zélande l’an dernier, et un événement salué par la planète cinéphile. Enfin, cerise sur le gâteau de sa renommée et de son prestige, Vertigo détrônait, il y a quelques mois, le Citizen Kane de Orson Welles au titre de plus grand film de l’Histoire dans le sondage organisé tous les dix ans par la revue Sight & Sound, une référence absolue, et une manière de consécration définitive, si besoin en était.

Curiosité et fétichisme

Autant dire que la Hitchcock Masterpiece Collection, coffret réunissant quatorze de ses films restaurés et proposés sur support Blu-ray, arrive à point nommé. S’agissant de l’auteur de The Birds, on dira que le plumage se rapporte allègrement au ramage, l’objet bénéficiant d’une présentation tout simplement somptueuse, à quoi ont été adjoints divers éléments à même de satisfaire la curiosité, et jusqu’aux appétits fétichistes des amateurs, dans une gamme allant de la reproduction de lettres du vice-président du comité de la censure pour The Birds et Vertigo à celle des dessins de multiples toilettes arborées par les blondes héroïnes hitchcockiennes, et jusqu’au story-board de la scène de la douche et autres plans de la villa Bates de Psycho.

Tous inédits en Blu-ray à l’exception de ce dernier, les films couvrent, pour leur part, une bonne partie de la carrière américaine du cinéaste, la période envisagée allant de Saboteur, en 1942, à Family Plot, en 1976, son ultime réalisation. De quoi célébrer à sa juste valeur un génie auquel la technologie rend assurément justice -mieux même, on la croirait parfois inventée pour un auteur ayant fait du style l’un des pivots de son cinéma. A titre d’exemple, le rendu est à ce point exceptionnel que même une pochade quelconque comme The Trouble with Harry s’en trouve transcendée par la grâce d’un Technicolor ensorcelant, là où la mise en scène brille d’un éclat tout particulier, postulat se vérifiant film après film, l’artificialité dût-elle parfois s’en trouver soulignée -comme dans The Birds, notamment.

Envisagée chronologiquement, la vision des quatorze titres ici réunis offre un regard panoramique sur la seconde partie de l’oeuvre, dont elle dresse une manière d’inventaire, chaque film apportant sa pierre à l’édifice hitchcockien. Sans être l’un de ses accomplissements majeurs, un film d’espionnage comme Saboteur, par exemple, n’en décline pas moins diverses figures de la grammaire de l’auteur, du faux coupable au morceau de bravoure venu le conclure, son final sur la Statue de la Liberté annonçant la scène du Mont Rushmore qui scintillera dans North by Northwest -malheureusement absent de cette collection. The Rope traduit pour sa part éloquemment le goût du cinéaste pour la recherche formelle comme sa parfaite maîtrise technique, le film, adapté d’une pièce de théâtre, se présentant comme un plan-séquence prolongé donnant l’illusion d’une totale continuité, chaque prise correspondant avec la durée d’une bobine, les raccords se faisant, par exemple, sur le dos d’un personnage. Soit un authentique tour de force, venu utilement donner le change devant la nature théâtrale du matériau. Un modèle de monstruosité, cela dit en passant, où deux étudiants, tout à leur certitude d’avoir accompli un crime parfait, poussent l’humour noir jusqu’à offrir un cocktail aux proches de la victime autour de son cadavre dissimulé dans un coffre -postulat posé dès le départ, qui alimentera l’un de ces suspenses dont le réalisateur avait le secret. Et un exemple, comme on pourrait les multiplier, du génie singulier du maître du suspense.

Obsessed with Vertigo

De Hitchcock, on a pu écrire à raison que « ses films se présentent avec ostentation comme de purs divertissements ». Son parcours américain, qui correspond à son plein épanouissement artistique, montre encore combien, sans jamais dévier de ce souci, l’auteur a su se donner les moyens d’une liberté toujours plus grande, et sublimer le cadre d’intrigues millimétrées, procédé culminant dans les chefs-d’oeuvre des années 50. Installant le spectateur dans le siège du voyeur à mesure qu’il s’identifie à James Stewart, contraint à l’immobilité à la suite d’un accident et qui, cloué à sa fenêtre, va acquérir la conviction qu’un de ses voisins a perpétré un meurtre, Rear Window en est un exemple éclatant, qui déborde de son cadre unique pour s’en aller battre l’inconscient. Quant à Vertigo, c’est à la fois le plus poétique et le plus psychanalytique des films de son auteur, en même temps qu’une spirale fantasmatique à laquelle on s’abandonne sans retenue, dès lors qu’a débuté la filature muette de Kim Novak par James Stewart dans les rues de San Francisco. La même émotion étreint le spectateur à chaque nouvelle vision d’un film procédant comme un envoûtement, jusqu’à laisser « Obsessed with Vertigo », suivant le titre de l’un des documentaires qui l’accompagnent ici, sentiment que Martin Scorsese attribue notamment au caractère « profondément personnel » de l’oeuvre.

Psycho, The Birds et Marnie, qu’il faut absolument redécouvrir, sont les autres chefs-d’oeuvre qui balisent cette édition. Si la fin de la carrière de Hitchcock allait avoir moins d’éclat, sans doute, le réalisateur semblant y avoir perdu si pas la main, un peu de la « Hitchcock Touch », on ne peut toutefois qu’abonder dans le sens de l’historien du cinéma Leonard Maltin qui, interrogé dans les bonus de Topaz, estime que s’il n’y a plus là de grands films, il y en a certainement de fort bons. Autant dire que le bonheur est ici complet, que prolongent quinze heures de compléments gourmands -jusqu’aux bandes annonces que Hitch traitait avec un soin jaloux. On laissera donc le mot de la fin à François Truffaut, qui ponctuait ainsi le livre d’entretiens qu’il consacrait au cinéaste de Shadow of a Doubt: « Hitchcock n’a pas seulement intensifié la vie, il a intensifié le cinéma.« 

HITCHCOCK MASTERPIERCE COLLECTION. UN COFFRET DE 14 BLU-RAY. DIST: UNIVERSAL. *****

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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