Great Freedom, libre entre les murs

Franz Rogowski et Georg Friedrich dans Great Freedom: deux solitudes à l'épreuve du temps.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Cinéaste adepte d’une certaine sécheresse et de la mise à nu des sentiments, l’Autrichien Sebastian Meise entremêle différentes temporalités au coeur d’une prison pour une subtile ode à l’amour et à la liberté. Rencontre.

On était sans nouvelles de Sebastian Meise (Still Life) depuis une décennie déjà et la réalisation d’ Outing, courageux documentaire centré sur un homme sexuellement attiré par les enfants mais déterminé à ne jamais vivre ses fantasmes. Great Freedom n’est, au fond, que le deuxième long métrage de fiction du quadragénaire autrichien. Présenté à Cannes, l’été dernier, dans la section Un Certain Regard, puis passé par le Film Fest de Gand, ce drame sensible et patient situe l’histoire de Hans Hoffmann (Franz Rogowski), un détenu gay, dans l’Allemagne de l’après-guerre, où l’homosexualité est illégale selon le paragraphe 175 du Code pénal. Victime tragique de l’absurdité d’un système où l’intolérance fait loi, celui-ci s’obstine à rechercher l’amour et la liberté entre les murs de sa prison. Le cinéaste raconte: « À l’origine du film, il y a ma découverte des rapports officiels faisant état du sort réservé à tous ces homosexuels qui, en Allemagne, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, ont été libérés des camps de concentration pour être directement remis en prison. Je savais que l’homosexualité y avait été un temps illégale, mais j’ignorais complètement l’existence de ce fameux paragraphe 175 qui criminalisait ce qu’on appelait alors les actes sexuels contre nature. »

Appliqué jusqu’aux années 70, et seulement officiellement aboli au milieu des années 90, ce paragraphe avait déjà fait l’objet d’un documentaire en 2000. Réalisé par Rob Epstein et Jeffrey Friedman, les deux auteurs de The Celluloid Closet, il relatait notamment les nombreuses persécutions subies par les homosexuels sous le régime nazi. Il sert aujourd’hui de prétexte, aux accents quasiment orwelliens, à la rencontre de fiction entre le susnommé Hans Hoffmann et Viktor Kohl (Georg Friedrich), codétenu hétéro condamné à perpétuité pour meurtre. Afin de construire au mieux ces deux personnages amenés à se retrouver à trois périodes distinctes (1945, 1957 et 1968), et dont l’étonnante relation d’attraction-répulsion est appelée à évoluer au fil du temps, Sebastian Meise s’est immergé dans les nombreuses archives existantes et dans des interviews de première main rendues disponibles par le Gay Museum à Berlin. « Il y a aussi un très chouette café gay à Vienne fréquenté par des couples plus âgés. Je suis allé à leur rencontre afin de recueillir leurs histoires. Il s’est avéré qu’ils avaient tous eu des problèmes avec la loi. Absolument tous. Le personnage de Hans est, en un sens, la somme de toutes les petites anecdotes que j’ai pu collecter auprès de ces hommes. »

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Leçon de simplicité

Il y a quelque chose de presque mythologique, de quasiment sisyphéen même, chez ce protagoniste qui n’en finit pas de tomber et de se relever. Raison aussi pour laquelle Meise saisit sa destinée à trois époques distinctes, pour mieux en souligner l’aspect buté et répétitif. « C’est l’une des raisons, en effet, opine le réalisateur. Une autre raison tenant au fait que la relation si singulière qui unit Hans à Viktor avait d’évidence besoin de temps pour s’épanouir pleinement. Il y a quelque chose de véritablement épique qui se noue entre eux, et c’est une dimension qui ne peut s’inscrire que dans une certaine durée. »

Tourné en décors réels dans une vieille prison allemande, Great Freedom n’en prend pas moins la forme d’un drame carcéral au naturalisme spartiate qui embrasse sans ciller les codes très spécifiques propres au genre dont il relève. « J’ai regardé des tonnes et des tonnes de films de prison avant de m’atteler à ce projet. Tout en ayant conscience, bien sûr, que le risque du stéréotype n’est jamais bien loin. Mais les codes du drame carcéral sont en quelque sorte incontournables, il s’agit donc plutôt de voir comment les digérer sans se trahir. À l’arrivée, j’ai décidé, dans tous mes choix relatifs à l’écriture ou à la mise en scène, de me situer au confluent des enjeux du film de prison et de ceux du film d’amour. C’est dans l’équilibre fragile entre ces deux grandes traditions cinématographiques que Great Freedom puise, je crois, son identité et sa singularité. »

Tirant son nom d’un des premiers clubs gays à s’être implanté à Berlin au début des années 70 (le Grosse Freiheit 114, toujours en activité dans le quartier de Friedrichshain), le film, sobre, pudique, jamais appuyé, trouve le ton juste et la bonne distance, préférant invariablement suggérer les choses en pointillé plutôt que d’asséner de quelconques vérités. À travers cette grande histoire d’amour et d’amitié -ou peut-être devrait-on plutôt dire d’amour dans l’amitié- Sebastian Meise s’impose ainsi comme un cinéaste tout en retenue, qui cultive le sens du dénuement pour mieux dire toute la complexité des sentiments. « Je pense que, en tant que réalisateur, il faut vraiment être très attentif à ça. Il y a beaucoup de séquences à fort potentiel émotionnel dans le film. Mais cette émotion ne peut pas fonctionner en continu, du début à la fin, on n’est pas dans un mélodrame. D’une manière générale, je crois beaucoup à la simplicité. C’est une leçon que j’ai notamment apprise du cinéma de Tarkovski. J’essaie en permanence de tendre vers l’essence même de mon histoire. »

Great Freedom. De Sebastian Meise. Avec Franz Rogowski, Georg Friedrich. 1h56. Sortie: 16/02. ***(*)

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