C’est l’histoire d’un mec ordinaire. Il s’appelle Aurélien, il a 26 ans et végète du côté de Caen, en Normandie. Pour tromper l’ennui, il fait du rap. Il s’est même inventé un nom de scène tranchant comme un sabre japonais: OrelSan. Rien que de très banal. Sauf que sa manière de décrire la vie des losers de province, entre soirées arrosées au whisky-Coca et plans dragues foireux, sonne juste. Ses textes sont drôles et désespérés, lucides et décalés. Une mine pour les sociologues. Le hip hop souple et franc du collier du petit blanc rappelle le flow tabasco et abrasif de ses grands frères anglais et américains, Mike Skinner et Eminem. Buzz éclair, la galaxie FM s’enflamme et le poète du Super U et des pizzas froides se retrouve catapulté aux avant-postes du récit médiatique, casquette de révélation hip hop 2009 vissée sur son crâne rasé. Presque trop beau pour être honnête. De fait. Les faiseurs d’étoiles ont oublié d’aller taper son nom sur Google. Ils y auraient trouvé la vidéo d’une chanson qui ne figure pas sur l’album Perdu d’avance et qu’ont exhumée pour eux des bloggeuses ulcérées. Et on les comprend. Sale Pute raconte en des termes d’une rare violence ce qu’un pauv’con – pour reprendre une expression chère à Sarkozy – imagine infliger comme sévices à la petite amie qui l’a trompé. Dur. Insupportable même. On cherche en vain un second degré qui pourrait atténuer un peu la violence misanthrope de la logorrhée. Un échantillon:  » On verra comment tu feras la belle avec une jambe cassée.  » Tollé général. JT et journaux, jusqu’au Guardian, relaient l’affaire. Le politique s’en mêle. Certains festivals, les Nuits Botanique notamment, déprogramment l’agent provocateur. D’autres, comme le Printemps de Bourges, temporisent, expliquent qu’il ne jouera pas le morceau. Mais la liberté d’expression a ses limites, non? Certes. Mais évitons l’hypocrisie. Les scènes bruxelloises ont accueilli d’autres groupes à la langue fleurie d’épines, TTC en tête. Et prenons garde de ne pas museler cette liberté au prétexte de la défendre. Car à ce rythme, Gainsbourg aurait été réduit au silence… Et puis surtout, ne perdons pas de vue l’essentiel. Si OrelSan parle juste quand il décrypte la zone, pourquoi serait-il à côté de la plaque quand il dépeint les relations hommes-femmes? Le chanteur en dit malheureusement long sur l’image du Deuxième sexe chez les jeunes en général et dans les « quartiers » en particulier. Sa bile n’est que le reflet d’une société gangrénée par la frustration. Or, briser un miroir n’a jamais aidé à embellir la réalité… l

Par Laurent Raphaël

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