Godless, les Peaky Blinders féministes du Far West
Netflix vient de dégainer sa nouvelle création maison: une mini-série en sept épisodes à la sauce western, notamment produite par Steven Soderbergh (la trilogie Ocean’s). Nous avons binge-racé (vu la saison entière dans les 24h suivant sa sortie) cette lente incursion féminine dans le grand Ouest américain.
Dès les premières minutes de Godless, il semble que l’esprit de la série britannique Peaky Blinders ait été transposé au Far West du XIXe siècle, de son esthétique particulière à sa musique. Puis, la nouvelle mini-série de Netflix trouve heureusement son propre ton et sa direction personnelle. Godless plonge dans le territoire entourant la ville de La Belle, composée uniquement de femmes, à l’exception du shérif et de quelques commerçants. La veuve Alice Fletcher (touchante Michelle Dockery, vue dans Downton Abbey), propriétaire d’un ranch dans les environs, recueille Roy Goode (Jack O’Connell, révélé par Skins). Ce dernier a trahi le terrible hors-la-loi Frank Griffin, incarné par Jeff Daniels (Dumb & Dumber, The Newsroom), qui part alors à sa poursuite. Cet impressionnant casting est complété par la présence de Merritt Wever (Nurse Jackie), Thomas Brodie-Sangster (le gamin de Love Actually, c’était lui), Kim Coates (Sons of Anarchy), Scoot McNairy (Halt and Catch Fire) et Jessica Sula (Skins). Les comédiens s’en sortent tous haut la main, et font vivre des personnages pourtant difficiles à incarner et peu attachants au premier abord.
Sauf que leurs efforts se trouvent vite limités par un format paysage singulier, qui empêche les acteurs et actrices de dévoiler l’étendue de leur talent, mais magnifie pourtant la grandeur de l’Ouest américain. Les immenses et beaux décors (superbement mis en lumière par Steven Meizler, déjà actif sur The Girlfriend Experience) permettraient pourtant de donner plus de corps à certaines scènes qui tombent vite à plat. D’autant que la trame narrative oscille sans cesse entre flash-backs et présent, de manière souvent confuse, et perd rapidement le spectateur, déjà peu accroché par la lenteur de la série. À force de contemplation, le scénariste Scott Frank (Logan et Minority Report, entre autres), qui a écrit et réalisé les sept épisodes de cette multiple chasse à l’homme, finit par nous faire tomber dans l’ennui. Ce qui aurait alors pu être raconté en cinq excellents épisodes de 50 minutes, finit par traîner dans sept (trop) longs épisodes de 40 à 80 minutes, dont un interminable premier chapitre en forme de mise en contexte. Certes, les nombreuses références à Sergio Leone, notamment lors de gros plans sur les regards des personnages, et de jolies scènes au ralenti, sont notables. Mais elles ne suffisent malheureusement pas à offrir une réalisation totalement digne d’intérêt. C’est d’autant plus dommageable que Carlos Rafael Rivera (A Walk Among the Tombstones) compose ici une bande-originale et un générique envoûtants.
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Heureusement, Scott Frank est meilleur scénariste qu’il n’est metteur en scène, et se rattrape en développant un propos captivant. Ses dialogues, cinglants, tirent toujours en plein dans le mille et servent un fond féministe très prononcé, loin de tout romantisme niais (« Mon bonheur ne consiste pas forcément à materner et aider les autres »). Dans le village de La Belle, les femmes ont pris les choses en main, après l’explosion d’une mine qui a tué nombre de leurs amants, fils et frères. Cette prise de pouvoir féminine est jouissive, et s’incarne surtout dans le personnage de Marie-Agnes (remarquable Merritt Wever), une battante souvent cruelle, mais juste. Scott Frank n’oublie pas d’apporter à Godless une diversité assez rare sur le petit écran pour être soulignée, en intégrant des personnages noirs, indiens, et lesbiens, en-dehors des stéréotypes habituels. Mais le protagoniste le plus approfondi et le plus intéressant reste celui de Frank Griffin, interprété par le redoutable Jeff Daniels, à la barbe blanche bien fournie et au bras mutilé. Ce criminel rêveur mais sans pitié est tellement obsédé par sa mort et persuadé d’en connaître le moment exact, qu’il refuse complètement de faire face aux dangers qui le guettent. Son passé, comme celui des autres personnages principaux, est dévoilé au compte-goutte pour mieux apprécier la complexité de sa psychologie.
Malgré une impression globale de tourner en rond et une fin sans grande surprise, Godless demeure une oeuvre riche dans ce qu’elle dit de cette société américaine, encore largement baignée dans la religion et le conservatisme mais déjà très indépendante.
Salammbô Marie
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