Furies

Que n’a-t-on pas écrit, filmé, fantasmé sur les tumultes et drames actuels en zone syrienne et périphérique, entre Kilis et la région d’Afrine? Réfugiés fuyant l’enfer, combattantes peshmergas, razzias ignobles des Brigades internationales fondamentalistes, dérives guerrières et civiles entre terreur et démence pure: le terrain semble balisé. S’attaquant à son tour au sujet, pour son premier roman, Julie Ruocco, 28 ans, a imaginé un dispositif romanesque plus fûté qu’il n’y paraît: raconter l’histoire d’amour impossible entre une Française candide et un Syrien tout juste rescapé de l’horreur. Entre eux, une énigmatique gamine exfiltrée d’un camp, comme la dernière touche apportée en surface à l’esquisse convenue d’une famille à rebâtir par-delà la tempête. Pour autant, si sa plume s’abandonne très occasionnellement à une grandiloquence coupable, ce que bricole intelligemment cette primo-romancière séduit sans mal. Outre des pages particulièrement bien senties sur la continuité des guerres du point de vue des femmes, outre d’autres sur ce qui pousse des enfants de l’Occident à prendre les armes pour imposer une nouvelle dictature, s’établit ici une copieuse et inspirée variation sur le rôle que les hommes donnent à la terre. Ce qu’elle produit ou dissimule, ce qu’on y enfouit ou en déterre, ce qui y meurt ou en est excavé. Ici, un pompier devient fossoyeur, puis embaumeur, puis faussaire; une archéologue, sombre pilleuse de sarcophages avant de contribuer à déterrer des secrets. Difficile, ici, de lâcher le fil, comme d’ignorer en Ruocco une future romancière sur qui compter.

De Julie Ruocco, éditions Actes Sud, 288 pages.

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