DANS UN MARCHÉ DE LA MUSIQUE QUI SE RÉINVENTE, LA PUBLICITÉ A PRIS DES ALLURES D’ELDORADO. ALORS QU’EDWARD SHARPE (PEUGEOT, CITROËN, MICROSOFT) S’APPRÊTE À REMPLIR L’ANCIENNE BELGIQUE, PLONGÉE DANS LE MONDE DE LA SYNCHRO PUBLICITAIRE.

Lundi, Edward Sharpe et ses Magnetic Zeros rempliront l’Ancienne Belgique. Pas le Club, le Box ou le Flex. La grande Ancienne Belgique. 2000 personnes rien que pour eux. Hippies poilus aux longues douilles adeptes de la vie et de la musique en communauté façon Polyphonic Spree… En 2009, personne n’aurait misé un kopeck sur l’illuminé Alex Ebert quand il a décidé de prendre ses distances avec le punk pour dancefloor d’Ima Robot et s’est réinventé en folkeux messianique envoyé sur terre pour sauver les hommes tout en restant susceptible d’être distrait par les femmes.

Son succès, le Californien, fils d’une actrice et d’un psychothérapeute musicologue, le doit en bonne partie à la publicité. A ces spots (Peugeot, Microsoft, Citroën, NFL, Ford…) qu’il a enquillés et qui l’ont transformé en sonneries de GSM pour ménagères de plus de 40 ans. Extrait de son premier album, Up From Below, sorti en 2009, Home est devenu un tube l’an dernier en France grâce à la publicité pour la Crossover.

Thomas De Mot travaille depuis pratiquement dix ans pour Strictly Confidential. La branche édition du Pias Group. Son boulot? Il place des chansons dans des films, des séries télé et, plus intéressant financièrement, des publicités… Dans son catalogue pour ne citer qu’eux se bousculent les Editors, Soulwax, Goose, Vitalic, les Girls in Hawaii… « J’ai en permanence en tête des dizaines de milliers de chansons. Nous gérons environ 500 000 titres. Certains appartenant à des labels américains qu’on représente en Europe. La synchronisation est un boulot assez particulier qui demande avant tout de se tisser un réseau tentaculaire. Pour placer des morceaux, il faut connaître les bonnes agences, les bonnes boîtes de prod, les bons réalisateurs. Après, il faut être présent. Faire connaître ses artistes. Occuper le terrain. On a par exemple quelqu’un pour nous représenter à Los Angeles…  »

La pub est depuis quelques années, et au même titre que les séries télé, devenue prépondérante dans le marché de la musique. En ces temps difficiles, dématérialisés, individualisés, elle rapporte gros et joue un rôle de vitrine plus déterminant que jamais. Beaucoup de téléspectateurs, aidés par Shazam et autres logiciels de reconnaissance musicale, découvrent de nouveaux groupes entre deux programmes télé. Se retrouver dans une publicité, c’est un premier pas vers le succès et la crédibilité. Eventuellement un moyen de doper les ventes d’artistes encore méconnus.

« Pour nous, une bonne synchro, c’est évidemment une synchro qui paie bien. La pub est devenue une source de revenus importante que ce soit pour les artistes, les maisons de disques ou les éditeurs. Mais c’est aussi, surtout, celle qui aura une plus-value pour le groupe. Celle qui déclenchera quelque chose. Il y a de très beaux films, il y a aussi de très belles pubs. Esthétiques. Artistiques. Notamment celles d’Apple qui sont parmi les plus prisées. Apple est considérée comme le top du top par les éditeurs. La marque a une image particulièrement cool. Et les chansons qu’elle utilise ont beaucoup de chances de devenir un tube. » Ce fut le cas par exemple pour New Soul de Yael Naim, qui s’est très vite hissée à la 2e place des charts français.

Ventes de disques et de places de concerts, téléchargements, visionnages sur YouTube… Les marqueurs ne manquent pas mais l’impact est aussi difficile à prévoir qu’à quantifier.

« La puissance d’investissement des grandes marques est synonyme d’une exposition massive. Mais va-t-elle pour autant booster les ventes? Quel sera le pouvoir de la musique? C’est difficile à prévoir. Le discours de la marque peut étouffer la visibilité de l’artiste. »

« Une synchro, c’est toujours une bonne nouvelle, estime Damien Waselle, le responsable de Pias Belgique. Elle t’offre de l’exposition et, on ne va pas tourner autour du pot, te rapporte du fric. Elle n’est cependant pas une garantie de succès. Il n’y a pas d’effet systématique entre une synchro de pub et un tube. Ni nécessairement une augmentation conséquente des ventes d’ailleurs. C’est comme avec la radio, il y a un élément qu’on ne maîtrise pas. Par contre, elle peut devenir l’une des raisons majeures du break. Nous, on se tient prêts. Prêts au niveau des stocks. Prêts à reprendre de la visibilité en magasins… Avant, on fournissait même des autocollants mentionnant la synchro. Après, il faut pouvoir y survivre. Le public est un peu volatile. La pub propulse sous le feu des projecteurs mais elle ne transforme pas en artiste durable. »

Les accointances entre la publicité moderne et la musique trouvent leurs origines à la radio. A l’époque, pendant l’entre-deux-guerres, ce sont les régies des supports radiophoniques qui concevaient les messages musicaux.

« Chargées de regrouper les différentes annonces pour chaque chaîne, elles pouvaient proposer des supports musicaux afin de limiter l’ennui procuré par une suite de messages lus en direct, écrit dans la revue des industries créatives et des médias InaGlobal, le Docteur en sciences de l’information et de la communication Christophe Magis. Pour ce faire, elles recouraient quelquefois aux services de musiciens ou chanteurs populaires. L’un des exemples les plus connus est celui de Charles Trenet, engagé au début des années 30 par Marcel Bleustein-Blanchet (alors propriétaire de la régie de Radio-Cité), pour la composition de petites chansons publicitaires qui devaient remplacer certains communiqués parlés trop monotones ou indigestes. »

Les maisons de production dans la réalisation publicitaire sonore et audiovisuelle se sont mises à fleurir dans les années 70. Soit après que la publicité de marques a été autorisée à la télévision française (1968).

« Les maisons de production spécialisées dans la musique de publicité, notamment pour la radio (comme 15-30-45, Alfie ou Fiesta), s’associent alors souvent à des artistes et compositeurs populaires pour la réalisation des bandes-son, en partenariat avec les éditeurs originaux de ces derniers. »

Si Richard Gotainer a largement contribué aux musiques de pub (Saupiquet, Banga, Belle des champs…), Serge Gainsbourg (Pentex, Gini) et Michel Berger (Orangina) entre autres ont participé à la composition de thèmes publicitaires célèbres dans les années 70 et 80.

« L’essentiel de ces compositeurs est généralement invité à proposer des compositions originales, voire à s’auto-parodier mais cela n’empêche pourtant pas cette période de voir également quelques (rares) utilisations de titres connus, dans leurs versions originales (non-reprises). »

Le phénomène a beau sembler récent, les maisons de disques ont depuis longtemps ouvert des départements spécialisés dans la synchronisation publicitaire. Polygram avait montré l’exemple en 1992. La plupart des majors lui ont emboîté le pas. Même si elles tarderont un peu à mettre ces services en valeur. Attendant pour ce faire la mise à mal du support matériel.

Les groupes de rock n’auraient jamais dans les années 70 vendu leur cul à la pub mais la question a été fameusement reconsidérée depuis. Les Dandy Warhols ont même déclaré qu’ils vendaient moins leur âme au diable en monnayant leur musique avec des publicitaires qu’en essayant de rentrer dans les cadres étroits fixés par les programmateurs de radio et de télé…

Au début, Edward Sharpe et ses Magnetic Zeros googlaient les compagnies avec lesquelles ils entraient en négociation. Une mauvaise idée. Comme déclarait leur manager Bryan Ling: « Tu trouveras toujours quelque chose de dérangeant. Tout spécialement avec les grosses boîtes. » Le groupe se décide finalement sur les messages véhiculés par les pubs. Il a par exemple refusé l’utilisation de Home par la société de télécommunication AT&T. Un spot dans lequel un client était amené assis sur son fauteuil dans une boutique de la marque.

Heureux, orchestral, féminin, léger…

Idéalement, une synchro doit correspondre au fonds de commerce de la marque, bien traduire sa personnalité, se distinguer de la concurrence et faire le trou dans un écran publicitaire… Mais la règle d’or, c’est qu’elle doit plaire à tout le monde sans déplaire aux branchés. Sorti en 1999, Play de Moby est le premier album de l’Histoire dont tous les titres, 18 au total, ont été utilisés pour la synchronisation. Que ce soit de publicité, de film ou de série TV.

Comme dans la vraie vie, des tendances se dégagent. « Elles précèdent souvent les modes, explique Thomas De Mot. On a eu une période électronique. L’ère des singers songwriters. Je dirais qu’on baigne pour l’instant dans des tonalités plus pop. » Plusieurs styles fonctionnent par contre assez mal. C’est le cas du metal mais aussi du reggae. « Une marque ne te dira jamais qu’elle cherche un truc bien plombé. Elle veut de l’heureux. De l’orchestral. Du féminin. Du léger. »

Certaines agences cherchent des chansons connues. Elles suivent le succès plus qu’elles le précèdent. « Et il n’y a pas de date d’expiration. Pour un éditeur, une chanson n’est jamais morte. » D’autres sont en quête de jeunes talents qui leur donnent une image dynamique et coûtent nettement moins cher.

Ces dernières années, la concurrence a explosé. Le métier s’est professionnalisé. Les éditeurs qui concoctent des listes de titres collant à l’idée de l’annonceur et à son budget sont des mecs informés qui connaissent les buzz, la place des titres dans les charts étrangers, leur popularité… Ils sécurisent les choix des agences.

Cependant, les tarifs pour l’instant partent à la baisse. L’un des effets de la crise. De la chute des budgets publicitaires. Le résultat aussi d’une compétition permanente et d’une concurrence toujours prête à casser les prix… La fixation des honoraires est forcément délicate. Et si pas arbitraire terriblement fluctuante. Les tarifs varient notamment en fonction de la popularité des chansons et des artistes, de leur ancrage dans l’air du temps et de l’exposition dont ils pourraient bénéficier. « Quand on parle de pub, tout dépend forcément de la marque. Les grandes enseignes de parfums, de voitures, d’alcool paient davantage qu’une petite entreprise locale. Le prix est aussi tributaire de la taille du territoire… » Edward Sharpe déclarait ainsi gagner quelque 500 000 dollars par grosse pub aux Etats-Unis. Montant ensuite partagé équitablement entre les dix membres du groupe. Il a aussi profité de synchros pour aider des associations caritatives, poussant par exemple Levi’s, qui avait utilisé Home dans un spot viral sans autorisation, à donner 5000 dollars à l’association charity: water.

Chez Stricly, l’un des coups dont Thomas est le plus fier, c’est d’avoir glissé Soap and Skin dans une pub pour la Ford Mondeo. « C’est de la musique assez dark. Pas le prototype de ce que cherchent les annonceurs. » Dans l’aventure, l’Autrichienne aura gagné l’équivalent de la vente de 45 000 disques.

EDWARD SHARPE, LE LUNDI 27/01 À L’ANCIENNE BELGIQUE (COMPLET).

TEXTE Julien Broquet

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