C’est le week-end. Dehors, le ciel a dressé une nappe à carreaux et les oiseaux chantent du Presley mais ça me semble normal. Je m’apprête à commettre un délit légal: perquisitionner la chambre de mon ado de fille. Pas pour chercher de la drogue ou compter les cadavres d’alcopops -elle est clean ou gère en tout cas suffisamment bien sa consommation pour en avoir l’air-, mais pour relever les indices d’une éventuelle dépendance aux produits stupéfiants (au sens figuré) de la culture commerciale. J’en profite, elle est partie comme une voleuse ce matin, sans doute pour aller se bécoter sur un banc public, en laissant traîner ses diverses prothèses numériques: PC portable, iPod, etc. En pénétrant dans sa tanière, je suis surpris par l’ordre qui règne. C’était nettement plus chaotique dans mon souvenir, entre les terrils de vêtements sales sur le sol et l’étalage de feuilles de cours comme si en dispersant le savoir, il allait plus facilement être assimilé. Mon regard balaie la pièce et tombe sur la bibliothèque ventripotente. Raymond Carver, Alberto Moravia, Jim Harrison, Craig Davidson, Jonathan Franzen, Joan Didion… L’inventaire frise la perfection. Même pas un Levy ou un Musso dans le lot pour faire un peu tache. Quand elle s’enferme tous les soirs dans son pigeonnier, c’est donc pour lire! Elle cachait bien ce noble vice, elle qui semblait avoir enterré Gutenberg avant même de l’avoir rencontré. Je m’attends à déchanter en sondant les profondeurs de son laptop. Dont l’£il noir me scrute depuis le bureau, où je remarque également quelques tickets de cinéma. Je ne résiste pas. Qu’a-t-elle été voir récemment? Dark Shadows, L’enfant d’en haut, I wish, et même Terraferma. Une bouffée de fierté paternelle monte en moi. Désormais fébrile, je réveille la bête informatique d’une caresse du doigt et lui fait cracher le morceau: Nick Drake, Electric Guest, Django Django, Woodkid défilent dans des playlists de très bonne compagnie… Bigre, rien à jeter! J’en ai les larmes aux yeux. Je pensais atterrir au milieu des immondices de la culture populaire et je me retrouve avec la crème anglaise et américaine de la musique. C’est à ce moment-là que j’entends une clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée. C’est elle! Mon c£ur s’emballe, je suis pressé de la rejoindre pour lui dire mon admiration, un peu honteux quand même d’avoir violé son intimité. Mais quelque chose cloche. Le bruit de serrure devient frénétique, comme si Jack Nicholson époque Shining essayait de rentrer. Un voile flou descend sur mes yeux et je me sens aspiré dans un trou noir. C’est là que je me réveille dans mon lit, haletant. Au loin, j’entends un marteau-piqueur. Non, ce n’est pas un marteau-piqueur, ça ressemble à du Skrillex. Un flot trépidant de sons distordus aussi rêches que du papier de verre. Pas de doute, c’est du Skrillex! Ça y est, je me souviens maintenant, elle m’a parlé hier de ce geek gothique sorti de la cuisse de Marilyn Manson. Elle kiffait grave. Comme Taio Cruz, Florida, Jason Derulo et tous les relous de la bande FM. Le silence revient d’un coup, une porte claque, on dirait qu’un troupeau d’éléphants descend l’escalier. Elle est sur le point de quitter le nid familial. Je lui demande en criant où elle s’enfuit? Retrouver des copines pour du shopping, et puis au ciné pour voir… American Pie 4. Argh. Je me recouche aussi sec, défait comme mes draps. Vite, un rêve!

PAR LAURENT RAPHAËL

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content