Serge Coosemans

Féministes 2.0: je vous aime, moi non plus

Serge Coosemans Chroniqueur

Best & worst of 2017, deuxième partie. Avec comme promis, une vue toute personnelle et de nature à bouleverser les transits intestinaux du phénomène le plus troublant de l’année: la montée en puissance d’un féminisme dit 2.0 qui tiendrait bien à la fois de la guerre culturelle et de la vaste couillonnade. Crash Test S03E16 ou mission-suicide de l’agent Chaosemans, c’est vous qui voyez.

Cette année, je me suis surpris à beaucoup écrire sur le féminisme, comme un peu tout le monde dans les médias et sur les réseaux sociaux, vu que la montée en puissance d’un féminisme dit 2.0 est assurément la grosse tendance de 2017. Parfois, mon avis à deux balles a rencontré un écho enthousiaste. Parfois pas. C’est, je pense, assez normal à partir du moment où l’on ne suit aucune ligne, que l’on ne se revendique d’aucun camp. C’est que je ne critique pas ce féminisme 2.0 parce que je suis un homme et que ce type de discours me dérange. Je le critique parce que je le trouve complètement con. C’est mon avis, pas un missile envoyé du camp des hommes; camp pour lequel je n’ai aucune sympathie, vomissant depuis toujours l’ambiance troisième mi-temps, la culture bro, le masculinisme, le machisme et les virées « mecs only ». C’est un avis que je partage avec certaines copines. En fait, je pense carrément qu’il reflète ce que pensent pas mal de gens, hommes comme femmes, qui n’utilisent pas ou peu les réseaux sociaux et se tiennent assez éloignés des emballements médiatiques. Ce féminisme 2.0 est une guerre culturelle qui prend une ampleur folle mais qui n’a pas encore totalement embrasé le monde, pour le moment encore relativement (bien que de moins en moins) contenue à la médiasphère.

Ma position est simple: quand des dizaines de milliers de femmes défilent contre Donald Trump et sa junte bigote (en janvier) ou foutent le boxon chez les porcs hollywoodiens (depuis octobre), je trouve ça légitime, utile. Je pense que les droits à la contraception, à l’avortement et à l’égalité salariale entre hommes et femmes devraient être garantis, carrément gravés dans le marbre, sacralisés. Je pense qu’une femme doit pouvoir suivre les études qu’elle veut, exercer le métier qu’elle veut, s’habiller comme elle l’entend et coucher avec qui lui plaît. Ainsi que se garder la possibilité de refuser d’être mère, épouse ou bonniche. Et puis, les plaintes pour harcèlement et viols devraient impérativement arrêter de systématiquement susciter la méfiance, des commentaires débiles et des rires gras. Tout cela, ce n’est pas gagné, loin de là, et c’est pourquoi le combat féministe classique, qui cherche à atteindre « l’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes » (Wikipédia) n’est pas seulement respectable mais hautement nécessaire, plus que jamais même à une époque où des salopards détricotent ce qui semblait pourtant acquis ou en passe de l’être, il y a une vingtaine d’années à peine. L’ennui, c’est qu’il s’est greffé à cela tout un discours dit féministe que je trouve complètement crétin, des idioties qui rencontrent sur les réseaux sociaux une impressionnante caisse de résonance et noient dans leur grosse soupe à la couillonnade ce combat légitime pour l’amélioration de la condition des femmes. Au nom du féminisme, des femmes généralement jeunes (25-35), plutôt bourgeoises et plutôt blanches, ont développé une parole aussi tapageuse que souvent confuse, soi-disant héritière d’une colère punkoïde et révolutionnaire alors que concrètement ça chouine surtout au sujet de « first world problems » et que ça applique à la marche du monde une grille de lecture complètement narcissique, révisionniste, paranoïaque et franchement cucul-la-praline.

Comme souvent sur le Web, il y a un côté messianique à ce qu’elles racontent, l’effet « pilule rouge de Matrix ». Comme Morpheus (c’est pourtant Trinity le personnage le moins con), ces filles croient avoir pigé une vérité essentielle et elles entendent gueuler pour réveiller les masses. Le « Patriarcat », autant dire leur « lobby juif » personnel, domine le monde. Tout le prouve: la hiérarchie sociale, la pop culture, les faits divers, le sexisme de la langue… Même un bitosse qui s’assied mal dans le tram n’est pas vraiment qu’un bitosse qui s’assied mal dans le tram mais plutôt un mâle alpha en train de marquer son territoire. La mission sur Terre de ces femmes est bien entendu de changer cela et pour changer cela, il faut déjà qu’un compagnon qui oublie de vider le lave-vaisselle prenne conscience qu’il fait partie des exploiteurs abusifs. Elles voudraient encore limiter le droit à dire des conneries, des énormités, des provocations, tout ce qui pourrait faire se sentir mal une des leurs (par contre, quand il s’agit d’attaquer l’ennemi, on en oublie jusqu’aux Conventions de Genève). Elles voudraient que l’on prenne au sérieux l’écriture inclusive et les appels à la censure d’oeuvres même pas si olé-olé que ça puisque certaines en sont à lister les blagues dans les films de Woody Allen qui prouveraient qu’il est pédophile ou à reconsidérer Blow Up comme un film inacceptable à cause d’une scène de triolisme un peu zarbi dont c’est justement le but d’être zarbi, puisque tout le film questionne le rapport à la réalité de son personnage principal. Bref, ces femmes cherchent à imposer une vision globale. Ce qui est le propre des guerres culturelles.

The Gun is Good. The Penis is Evil.

Des guerres culturelles, on en croise par douzaines sur le Web et dans les médias et on commence à se rendre compte que leurs modes opératoires sont assez similaires, comme expliqué dans Kill All Normies, un excellent récent petit bouquin d’Angela Nagle (elle aussi féministe, tiens). Si les partisans de la Terre plate, Breitbart News et l’alt-right font un tel ramdam dans leurs croisades, ce n’est en effet pas parce qu’ils gueulent le plus fort, comme on le croit souvent à tort. C’est parce qu’ils proposent une vision cohérente du monde, aussi dégueulasse, simpliste, paranoïaque et mensongère soit-elle. Ces sites et leurs représentants n’admettent pas le chaos, la complexité, les nuances, l’arbitraire et l’absurde de nos vies. Ils offrent une explication, ils donnent du sens aux choses. Leurs grilles de lecture permettent de se sentir moins confus. Et donc, moi, je pense que ces jeunes féministes 2.0 qui voient l’oeuvre de la main velue du patriarcat même lorsqu’un mec écarte les guibolles dans le tram parce que le siège pour nains lui ruine le cul et que son ceinturon lui rentre sinon dans la panse sont dans un trip similaire. Elles simplifient la complexité des relations humaines, le chaos social, la fluidité des rapports dominants-dominés à une sorte de fable conspirationniste, avec comme Boss à dégommer un pouvoir occulte, multiforme et manipulateur qui propage la misère via la beaufitude machiste depuis la nuit des temps. Et ça marche, parce que c’est un discours faussement cohérent qui répond à des questions vraiment confuses. La comparaison avec les autres phénomènes culturels aux élans révolutionnaires issus du Web ne s’arrête d’ailleurs pas là.

Il y a en effet un autre gros point commun, c’est que le discours défensif est fort bien rôdé, quasi automatisé. Si on sort à ces femmes des arguments remettant en cause ce qu’elles avancent, ça devient du mansplaining et ce n’est de toute façon pas aux hommes à déterminer un agenda politique féministe, diront-elles (c’est vrai, mais est-ce que lorsque je critique un mauvais film, je suis vraiment en train de dire au réalisateur ce qu’il aurait dû faire?). Si vous leur faites remarquer que les rôles féminins dans les productions hollywoodiennes sont tout aussi clichés que ceux des flics en jeans, des cocaïnomanes russes, des extraterrestres et des bêtes sauvages qui parlent, vous allez clore la discussion en un temps record. Si vous avez plus de 45 ans, vous faites de toute façon partie d’une génération qui ne comprend rien, parce qu’issue d’une période par essence sexiste (malgré Margaret Thatcher, Indira Gandhi, Blondie, Grace Jones, Linda Hamilton, Sigourney Weaver et Fabienne Vande Meersche…) Si vous trouvez que Virginie Despentes écrit plutôt mal, c’est que le message de l’auteure/autrice/autresse vous dérange profondément. Et si vous trouvez que leur prêchi-prêcha manque de nuances et combine révisionnisme, positions victimaires, autoritarisme, pleurnicheries passives-agressives et discours/slogans jouant bien davantage sur l’émotion que l’intelligence, façon Sarkozy donc, là, c’est le gros scandale et la shitstorm de réseau social assurés.

Bref, voilà bien une méthode complètement similaire à celle des réponses toutes faites truffées de « Bisounours » et autres « bobos bien-pensants » des fachos de souche et des campagnes d’intimidations systématiquement lancées à l’encontre de ceux et celles qui contredisent leurs imbécillités. On se barricade ses petites certitudes à la noix de toute possibilité de remise en question, on excommunie l’hérétique, on fait passer la critique pour du sabotage commandité par l’ennemi. Bref, on tient du culte sectaire et de la petite milice endoctrinée. Tout cela au nom du bien et du meilleur à venir. Et là, même si je suis à 80% athée et à 20% animiste, moi, pour le coup, je préfère encore un Noël chrétien, tiens. Bref, bonne bourre à tou.te.s et à l’année prochaine.

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