Critique | Expos

« Reset Immersive »: l’expo immersive qu’il serait regrettable de manquer

3,5 / 5
Prêts pour un voyage initiatique à 360 degrés? © Quentin Maréchal
3,5 / 5

Titre - Reset Immersive

Description - Jusqu’au 14/05. Sur réservation uniquement

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Envisageant la VR surtout comme alibi immersif, les expositions de réalité virtuelle déçoivent les amateurs de création contemporaine. Pas Reset Immersive, projet grand public au cœur d’une ancienne banque.

Comme nous, vous vous êtes sans doute déjà désolé devant les “Immersive Expérience” qui sont vendues aux quatre coins de l’Europe. Ainsi de Van Gogh Brussel Exhibition: The Immersive Experience qui s’est tenu en 2018 dans l’ancienne bourse de Bruxelles. Dieu, quelle bouse: une sorte d’illusion digitale bon marché servie par un décor indigent. “Il n’y a pas d’institution en Belgique avec une programmation régulière de réalité virtuelle, du coup la place est occupée par des productions ultra commerciales souvent décevantes”, avertit l’équipe de fomo.scene. C’est pour montrer qu’une autre réalité virtuelle existe que cette structure a vu le jour sous l’impulsion de Laure Hendrickx et Marine Haverland. Sa mission? La curation, l’intermédiation et la production dans le domaine des expositions numériques et des installations immersives. Obstiné, le duo de VR égéries a investi un bâtiment dont les proportions et le caractère brut lui ont semblé propices à une expérience d’un genre nouveau. On retrouve le tandem sur place, au croisement rue de la Banque, à deux pas de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule. C’est là que Reset Immersive-Whispering Lights a pris ses quartiers à l’intérieur d’un monstre de béton en friche depuis plus de 20 ans. Cet ancien siège du Crédit Communal, dont les 1 800 mètres carrés font actuellement place à un club éphémère, attend la mort dans l’âme sa reconversion en nouveau commissariat central de la zone de police Bruxelles-Capitale Ixelles. Autant dire que dans ce contexte mortifère, Reset Immersive constitue une parenthèse joyeuse et libre, impeccablement scénographiée dans le sens du recyclage par Laure Hendrickx et Martin Wautié, qu’il serait regrettable de manquer.

Pavot, pas pris

Un triangle de lumière sur un fond rectangulaire noir marque l’entrée du parcours. À la désolation du décor dépouillé s’ajoute un froid tenace, résultat de deux décennies sans thermostat. Laure Hendrickx et Marine Haverland ont prévu le coup en mettant des vestes à disposition des visiteurs qui entrent ici uniquement sur réservation et par petits groupes (dix spectateurs toutes les 20 minutes). Bien vu, le duo a signé un partenariat avec Joseffa, entreprise d’économie sociale qui reconditionne des vêtements invendus parce qu’endommagés. “L’expérience peut déstabiliser, nous avons fait le maximum pour que les visiteurs se sentent protégés”, commente Marine Haverland, dont on emboîte le pas pour une déambulation de 50 minutes.

Ce sont d’abord les œuvres de la plasticienne Laetitia Bica que l’on croise, juste à côté d’une installation sculpturale aux contours new age de Tristan Bundler. Jamais présenté à Bruxelles, le projet en question se découvre comme un voyage onirique multi-supports -impressions textiles comme des écrans suspendus, projection sur mur et miroirs, VR, atmosphère sonore marquée par les enregistrements sonores de Gaspard Rosenfeld…- sur les traces du pavot cornu, une plante méditerranéenne ayant conquis un terril du nord de la France en s’accrochant au dos des immigrés. “Il s’agit d’une plante ancestrale dont la symbolique est à la fois le rêve, la nuit, la mort. J’aime l’idée de la terre détruite par le travail mais réparée par des plantes déterritorialisées. Il y a là une incroyable négociation”, commente l’artiste, qui pousse à “voir le monde à travers la plante”. Ce prisme de lecture végétal, au plus près du vivant, Bica l’aborde à travers la science dure, un usage du microscope et de la fluorescence, qui fait perdre au visiteur toute notion d’échelle. Casqué façon VR et assis dans une petite cellule drapée d’un voile de tulle, celui-ci ne sait plus s’il évolue dans des paysages infiniment petits ou dans un vertigineux macrocosme. Le voyage initiatique à 360 degrés, sous plante hallucinogène (pourquoi pas le pavot?), n’est pas loin. Cette impression d’évoluer, pendant 6 minutes, dans une peinture aborigène stéréoscopique en pouvant interagir avec elle. “L’idée est de se réapproprier ces infra-environnements polymorphes afin de les habiter, de s’y dessiner une place à travers l’imaginaire et la fiction”, ajoute cette artiste née à Liège.

La suite du parcours fait place à un déroutant couloir, une sorte d’art pariétal hypnotique, transfiguré par trois projecteurs, portant la patte d’Antoine De Schuyter, artiste audiovisuel qui ponctue Reset de deux créations. L’immersion, servie par des nappes de synthé planantes, fonctionne à plein régime, elle évolue même en fonction du mouvement, ce qui n’est pas sans faire perdre pied au visiteur. L’intéressé de raconter son modus operandi: “Je viens de la sérigraphie, technique propice à l’accumulation des strates. Je réplique ce principe avec la vidéo en fusionnant des milliers de photos et de vidéos, de corps et de paysages, que j’accumule au jour le jour et lors de mes voyages.

Reset Immersive fait également place à une seconde session sous casque de réalité virtuelle. Grand public -un parti pris revendiqué-, Conscious Existence de l’Allemand Marc Zimmermann s’apparente à une ode vibrante et un rien grandiloquente au vivant, de quelque 11 minutes, qui traverse une multitude de paysages, urbains, naturels, cosmiques, à la beauté soufflante. Ce n’est qu’au bout du parcours, dans une salle ouverte sur un patio faisant place à une œuvre mobile redécouverte d’Olivier Strebelle (Artifices d’acier, 1985), que les visiteurs quittent l’aventure sensorielle pour recevoir, s’ils le désirent, les réponses aux questions que l’odyssée ne manque pas de poser.

Reset Immersive, jusqu’au 14/05. Sur réservation uniquement. www.resetimmersive.be

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