Pour les 20 ans de sa parution française, Naruto s’expose au Musée de la Bande Dessinée
Tout le monde connaît -au moins de nom- Naruto, fleuron et archétype du manga mainstream pour ados. À l’occasion des 20 ans de sa parution française, le Musée de la Bande Dessinée expose le plus pop(ulaire) des ninjas. Retour sur cette saga phénomène.
C’est un peu le Harry Potter japonais. Un récit initiatique universel, au succès délirant. Celui du petit orphelin Naruto, garnement laissé-pour-compte qui ambitionne de devenir “maître Hokage”, la plus haute distinction ninja. Épopée pop éditée entre 1999 et 2014 au Japon et adaptée en série animée fleuve (ainsi qu’en films, romans et jeux vidéo), la saga de Masashi Kishimoto (47 ans) mêle aventure musclée, humour et tragédie. Le héros à la combinaison orange y suit sa formation, prend de l’âge, gagne le respect de son village, tandis que plane la menace d’un bad guy placé sous le signe du serpent (comme un certain Voldemort, oui, et on n’énumérera pas ici toutes les ressemblances avec Harry Potter, aussi abondantes que vraisemblablement fortuites). Enfin, dans un premier temps. L’œuvre s’étend sur 72 tomes, développant de nombreux personnages ainsi qu’un large monde.
Au Japon, Naruto est paru dans Weekly Shônen Jump, la plus célèbre revue de manga, qui a accueilli -et continue d’accueillir- des best-sellers comme Dragon Ball, One Piece, Slam Dunk et autre My Hero Academia. Elle se destine en priorité aux ados masculins et sa ligne éditoriale se résume aux concepts “amitié, effort, victoire”, mixture très japonaise qui célèbre à la fois l’accomplissement individuel et l’esprit de communauté. À peu près comme le base-ball, au fond, sport national de l’archipel. En plus d’adopter ces valeurs, les séries estampillées Jump suivent le plus souvent des codes graphiques et narratifs récurrents, très identifiables. Et si popularisés que lorsqu’un commentateur extérieur parle par abus de langage de “style manga”, il fait en réalité référence, la plupart du temps, au style Weekly Shônen Jump. Que Naruto incarne parfaitement. Ainsi, le visiteur retrouvera les fameux cheveux en épis “dragonballiens” et autres pugilats cataclysmiques dans Naruto: le ninja phénomène, l’expo grand public qui propose une introduction à cet univers et quelques dizaines de belles reproductions agrandies (pas de planches originales). D’une surface limitée, le circuit se montre toutefois riche en textes didactiques et informatifs, permettant d’appréhender cette saga qui a tout, en effet, du phénomène.
La Naruto-mania
Traduit dans plus de 60 pays, vendu à 250 millions d’exemplaires dans le monde dont 25 millions en français, Naruto est un mastodonte, qui a dominé les charts du manga VF pendant dix ans. Ici, la série s’est achevée en 2016, mais même quand c’est fini, ce n’est pas fini. “En 2020, on vendait un tome 1 de Naruto toutes les 30 secondes. Et en 2021, toutes les 15 secondes”, explique Christel Hoolans, directrice générale de Dargaud-Lombard (maison mère de l’éditeur Kana). Ce volume sorti il y a 20 ans est tout simplement le manga le plus vendu de 2020 et 2021. Les raisons: l’effet confinement (faisant exploser l’intérêt d’un jeune et nouveau public, assigné à résidence, pour les anime, donc les mangas), la sortie d’un pack découverte et la popularité de sa suite Boruto. Sans doute aussi le fameux Pass Culture français accordé aux 15-18 ans. Ainsi, le téméraire ninja touche aujourd’hui sa troisième génération de lecteurs et fait incontestablement partie de la pop culture mondiale. On se souvient, par exemple, du très médiatisé appel-plaisanterie sur Facebook à un “Naruto run” (courir comme lui, les bras en arrière), direction la Zone 51, pour foncer découvrir ce que cache le site en allant plus vite que les balles des militaires protégeant le périmètre.
Mais au fond, pourquoi ce succès? Pourquoi, alors que le manga jeunesse ne manque pas d’œuvres efficaces, Naruto s’est-il à ce point distingué? Peut-être parce que la conclusion du légendaire Dragon Ball d’Akira Toriyama, au milieu des années 90 (d’abord au Japon, puis chez nous au Club Dorothée), a laissé un vide béant, un trône vacant qui appelait un héritier. Plusieurs épigones se sont présentés. Masashi Kishimoto et Eiichiro Oda (One Piece, autre immense phénomène) ont alors partagé cet héritage, revendiquant tous deux l’influence majeure de Toriyama, une sève nourricière dont ils ont chacun repris la partie qui leur goûtait le plus. Mais Kishimoto reste le plus direct continuateur du maître (tout en creusant son propre graphisme, plus impulsif). Ainsi, la génération suivante a pu se passionner pour “son” Dragon Ball –en particulier, chez nous, dans un marché du manga VF dont l’offre restait relativement réduite en 2002.
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Sans doute y a-t-il une autre réponse du côté des cordes sensibles. Dans Weekly Shônen Jump, chaque auteur cuisine les valeurs de la revue à sa propre sauce et Kishimoto, lui, a le goût du tragique et de la mélancolie. Dans sa jeunesse, le mangaka a grandi entouré d’orphelins et d’enfants aux familles dysfonctionnelles. Il s’est directement inspiré de ses souvenirs. “Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais un enfant assez sensible aux situations familiales compliquées. Je me souviens d’avoir écouté attentivement ce que me racontaient mes camarades dont les parents avaient divorcé, et qui ne vivaient qu’avec leur mère. Ils me confiaient leurs problèmes, et j’essayais, dans la mesure du possible, de leur donner des conseils”, livrait-il à la revue Kaboom en 2014. Il y a donc chez lui une façon intime de regarder l’enfance et par conséquent de s’adresser au lecteur. Tout comme d’écrire la famille. Le milieu ninja fonctionne sur un modèle clanique, par-delà les liens du sang, où résident cohésion sociale et rapports filiaux symboliques, qui peut-être guériront les blessures des orphelins. Naruto, lui, a désormais fondé son propre foyer. Son fils a pris le relais dans la suite Boruto (que Kishimoto supervise), continuant d’étendre le “Naruto-verse”, un peu comme Les Animaux fantastiques assure la descendance d’Harry Potter. Nous n’avons donc pas fini d’entendre parler du clan.
Un souvenir de l’exposition. “Ik ben Narutooo!” Un gamin court devant nous, les mains jointes à la façon du ninja orange. Sans doute un nouveau membre du clan. Non, nous n’avons vraiment pas fini d’en entendre parler.
Naruto: le ninja phénomène. Jusqu’au 13/11 au Centre belge de la bande dessinée (Bruxelles).
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