Paul Delvaux dévoile ses mondes à La Boverie: “Le nu et la femme ont une place primordiale”

La femme est un élément pivot dans le construction de l’univers de Paul Delvaux. © Fondation Paul Delvaux, Belgium Sabam 2024, Photo Vincent Everarts

Étrange parcours que celui de Paul Delvaux, à l’apex des grands noms de la peinture belge jusqu’à la fin du siècle dernier avant de tomber dans un relatif désintérêt. La belle et vaste exposition qui vient d’ouvrir à La Boverie, à Liège, est là pour nous rappeler son importance et la richesse d’une œuvre qui va bien au-delà d’un quai de gare.

Ainsi va sans doute la vie d’un artiste… Une ou deux décennies à rester littéralement en haut de l’affiche avant d’entamer un passage dans une sorte de purgatoire du goût. L’heure de la réhabilitation a peut-être sonné pour l’œuvre de Paul Delvaux, ses femmes dénudées, ses Vénus, ses squelettes, ses trains, ses trams, ses lampes à pétrole… Sa dernière grande rétrospective en Belgique remontait à 1997. « Cela fait 27 ans exactement qu’il n’y a plus eu de grande exposition à son sujet« , explique Benoît Remiche, qui organise celle qui lui est consacrée à La Boverie, à Liège. Et pourtant on a vite oublié l’aura qui entourait le peintre de son vivant, une renommée qui débordait bien au-delà de nos frontières. D’ailleurs, « l’exposition s’ouvre sur les quatre portraits de Delvaux faits par Warhol, ce qui fait de lui le seul peintre belge à avoir été ‘warholisé ‘. Cela prouve qu’il avait à l’époque le statut de star mondiale. Warhol disait d’ailleurs qu’il trouvait beaucoup de similitudes dans la manière dont Delvaux peignait.« 

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L’exposition n’est pas à proprement parlé une rétrospective, et pourtant ses mondes que l’on traverse s’égrènent dans leur chronologie, ce qui permet de sentir la cohérence qui l’a animé tout au long de sa vie d’artiste. « Son monde est d’une cohérence implacable, explique Camille Brasseur, la commissaire de l’exposition. Vous pouvez prendre un tableau, en regarder un autre et voir des points de ralliement. Il y a toute une imagerie, une iconographie et tout un vocabulaire que l’on va retrouver d’une œuvre à l’autre. Il y a un dialogue permanent dans son œuvre. Et pourtant son univers est ouvert à 360 degrés au sens où il joue sur une frontière très ténue entre intérieur et extérieur. Lorsqu’il place une porte ouverte sur la mer, c’est parce qu’il n’y a pas de frontière. C’est un lieu dans lequel il va placer des éléments à la lisière entre deux mondes, et c’est la raison pour laquelle on a pu l’envisager comme surréaliste au sens des éléments anachroniques qui fonctionnent au sein d’un même univers.« 

Cherchez la femme

Dans l’œuvre de Delvaux, une poignée de motifs se répètent jusqu’à l’obsession. Mais l’exposition est l’occasion de dépasser ces points d’ancrage de son imaginaire. « C’est vrai que le nu et la femme ont une place primordiale dans son œuvre, on ne peut pas le nier, ajoute Camille Brasseur. La femme est vraiment un élément pivot dans la construction de son univers. Mais dans son esprit, elle n’est qu’un élément parmi d’autres qu’il va faire dialoguer. Et d’ailleurs, le train va pouvoir prendre plus ou moins de l’importance en fonction de l’équilibre de la composition. C’est vrai qu’on a tendance à dire que Delvaux est le peintre des femmes, des squelettes et des gares. Ce n’est pas faux, mais c’est beaucoup plus complexe que cela. L’avantage d’une exposition qui réunit près de 150 tableaux et objets est de permettre au spectateur de prendre conscience de toutes ses nuances et de toute cette complexité. »

La Vénus endormie © Tempora/dbcreation

Et c’est aussi l’occasion de comprendre à quel point sa vie personnelle s’incruste dans ses tableaux, et de voir tous ces points de convergence entre son vécu et son travail d’artiste. Ce n’est pas pour rien que l’on découvre dès la première salle le portrait d’Anne-Marie De Martelaere, dite « Tam », qu’il a voulu très tôt épouser avant d’essuyer un refus de ses propres parents. À cette œuvre en répond une autre: « Il y a ici ce tableau dans lequel Delvaux se représente dans un mariage fantasmé avec Tam parce qu’il ne pouvait imaginer que quelques années plus tard, il se retrouverait effectivement devant la maison communale de Watermael-Boitsfort en train de l’épouser pour de vrai. Il y a ainsi une mise en scène de lui-même au sein de son œuvre, et la possibilité de créer un monde à l’image de ce qu’il souhaite. » D’ailleurs, ne disait-il pas « Je peins un tableau dans lequel j’aimerais vivre« ? Il nous explique par là combien il s’immerge complètement dans le monde intérieur qui l’habite.

L’exposition à La Boverie a la bonne idée de dépasser le simple axe rétrospectif et d’en introduire un plus immersif avec notamment des points d’ancrage, comme la reconstitution de son atelier en grisé dans lequel on voit l’artiste à l’œuvre dans son intimité en train de dessiner d’après modèle. On y croise également la Vénus endormie qu’il avait découvert en 1932 dans le musée pseudo-scientifique Spitzner à Bruxelles. Une Vénus qu’il a transposée dans ses toiles à maintes reprises, parfois assortie de son squelette Oscar, lui aussi présent pour l’occasion. On y croise également Ensor, grand amateur de danse macabre, et inévitablement Magritte. D’ailleurs « Delvaux était plus connu que Magritte de son vivant, nous apprend Camille Brasseur. Il a en effet une place absolument majeure dans l’Histoire de l’art belge. » L’exposition fait également dialoguer son œuvre avec celle de Giorgio De Chirico, dont les peintures métaphysiques eurent un impact profond sur Delvaux et dont il a pris le goût pour les cités antiques, les arcades et les ruines.

La Mise au tombeau (1953) © Fondation Paul Delvaux, Belgium Sabam 2024, Photo Vincent Everarts

Si cette exposition semble liée aux célébrations des 100 ans du surréalisme, Delvaux peut-il vraiment être raccordé à ce mouvement? S’il semble en avoir les atours, on le considérait bien plus comme un « peintre de l’imaginaire ». Il n’a jamais fait allégeance à ce courant, même s’il fut néanmoins considéré comme tel par André Breton et Paul Éluard. À son corps défendant puisque dans son œuvre et ses intentions, il n’y a aucune soumission au subconscient. Et pourtant Breton disait de lui: « Delvaux fait de l’univers l’empire d’une femme, toujours la même, qui règne sur les grands faubourgs du cœur, où les vieux moulins de Flandre font tourner un collier de perles dans une lumière de minerai. » Si les objets semblent parfois se télescoper étrangement, il faut peut-être surtout y voir des réminiscences de son enfance, comme cette lampe à pétrole qui lui rappelait celle que sa grand-mère plaçait sur la cheminée de la cuisine. C’est pour tout cela que l’on parle bien ici « des Mondes de Paul Delvaux« .

Les Mondes de Paul Delvaux, jusqu’au 16/03, à La Boverie à Liège. www.laboverie.com

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