Le Pop art a-t-il encore un avenir? “C’est un produit bien adapté à l’âge du spectacle roi”

"Kate Moss", inspirée d'Andy Warhol. © BELGAIMAGE
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Dans le sillage des récentes expositions consacrées au Pop art, la Fondation Vuitton ajoute sa pierre à l’édifice en mettant en lumière Tom Wesselmann, l’un des grands noms de ce courant artistique.

Elles sont nombreuses ces expositions consacrées au Pop art: Pop Art in Belgium à l’ING Art Center (Bruxelles); Roy Lichtenstein. Visions multiples au BAM (Mons); Pop Art, Icons That Matter au Musée Maillol (Paris); voire Warhol Unlimited au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Une opportunité pour revenir sur l’influence durable d’un mouvement dont l’esthétique colorée et ostentatoire continue de fasciner, mais aussi d’interroger la légitimité de cette récurrence muséale. À travers une analyse affûtée, Paul Ardenne invite à réfléchir aux enjeux contemporains de ce phénomène, tout en posant une question essentielle: le Pop art, malgré son succès, a-t-il encore quelque chose à dire à notre époque?

Le Pop art a-t-il encore une pertinence et en a-t-on épuisé les interprétations possibles? La répétition des expositions est-elle légitime ou appauvrit-elle notre rapport à l’art?

Le Pop art est un mouvement qui a compté. Il n’est pas anormal de porter l’attention sur celui-ci, pour les plus jeunes générations déjà, qui ne l’ont pas connu. Du point de vue de l’interprétation, le travail analytique est à jour sauf, il est vrai, au regard de la question du genre ou de l’approche décoloniale, un angle de la recherche à la tâche aujourd’hui. D’aucuns, à ces titres, voient dans le Pop art un art de mâle blanc capitaliste, matérialiste et cynique pour l’essentiel fermé aux femmes et à tout ce qui n’est pas occidental, sauf à réduire la femme à la figure caricaturale de l’objet sexuel et le non-Occident au folklore. Ce n’est pas faux. Au regard de l’esthétique, cela étant, l’heure n’est plus, en notre premier tiers du XXIe siècle, au Pop art.

Paul Ardenne © Christophe Beauregard

Ne s’agit-il pas d’une commodité curatoriale consistant à capitaliser sur un art grand public, plutôt que sur des formes plus expérimentales?

Sans doute mais ce n’est pas si simple. Le Pop art a son intérêt, il est un réservoir esthétique formidable, un miroir biais de la société consumériste et de l’univers des objets. Il est aussi un laboratoire de techniques de création. Ce que montre bien l’accent mis sur Wesselmann à la Fondation Vuitton, dans l’exposition Pop Forever, Tom Wesselmann &… qui vient d’y ouvrir: un grand dessinateur classique, émule de Pierre Bonnard et bricoleur inspiré comme l’était Andy Warhol. Oui, le Pop art plaît, l’exposer c’est la garantie du succès public. Il plaît plus que l’art conceptuel, contemporain à ses débuts du Pop art, très intellectuel lui, sans images ou presque, textuel, analytique, et bien loin de bénéficier de la même attention muséographique! La perversion du principe de l’exposition d’artexpositio, « mise en vue »- est qu’on y recherche inévitablement l’effet visuel avant tout autre. Le Pop art, à cet égard, est gagnant: riche d’entrées, de formes, facile à appréhender, très scopique, pas méchant et pouvant être regardé d’un œil distractif tout en lobotomisant sa conscience. Un produit bien adapté à l’âge du spectacle roi et du divertissement qui est le nôtre.

Le Pop art a créé des figures iconiques. L’insistance mise sur des grandes figures de l’art -Warhol, Lichtenstein, Wesselmann…- ne fige-t-elle pas le mouvement dans une image préconçue, empêchant d’autres artistes de la même époque, moins connus, d’émerger dans les récits historiques?

C’est évident mais, dira-t-on, humain: on se concentre toujours sur quelques noms, on réduit, on synthétise, on fétichise, on divinise. On iconise la personne, en effet, comme vous le dites, et certains artistes deviennent des héros populaires. C’est injuste mais il en va ainsi de l’humanité, toujours trop malade d’adorer, de starifier, en art comme au demeurant dans tous les domaines, de la politique, du cinéma, de la musique, de la religion, du sport, etc. Cette crispation sur quelques noms d’artistes seulement verrouille la possibilité d’une connaissance plus élargie mais à ce titre, il faut néanmoins saluer le travail des curateurs de l’exposition Pop Forever… citée à l’instant, notoire par son élargissement à des artistes peu connus mais dont l’œuvre en vaut la peine.

Marilyn Monroe, immortalisée en 1967 par Andy Warhol, l’une des figures majeures du Pop art. © © Adagp, Paris, 2017

Le Pop art comme vitrine commerciale? De quoi encourager une marchandisation de l’art en réduisant l’expression artistique à un produit de consommation?

Oui et non. Non pour le premier Pop art, celui des années 1940-1970, qui a somme toute une dimension ambiguë et ne met en perspective le consumérisme que pour mieux en dénoncer la vacuité, la nature matérielle déspiritualisée –un système d’objets, disait le sociologue Jean Baudrillard. Oui en revanche à partir des années 80 avec le Post-Pop, de Jeff Koons à Sylvie Fleury, qui se contente de plagier, plus que moins, sans rien apporter de vertébral ou de neuf. Narcotisation et cosmétisation. Le spectateur prend du plaisir -c’est attractif- tout en laissant ses neurones au repos. Ce Pop art tardif, fin de règne, renvoie au décor, au mineur, il distrait et au fond, n’imprègne rien.

Faut-il comprendre ce mouvement comme une impasse esthétique? Le signe d’une incapacité du monde de l’art à se renouveler?

Non. La création plasticienne, depuis le second après-guerre comme avec la modernité (la période 1815-1939, pour simplifier), connaît une intensification sans pareille, qui est aussi une intensification de la diversité. Les formes de création plastique, à ce jour, sont innombrables, fécondes à donner le vertige, elles cohabitent de surcroît sans heurt du dessin classique à l’œuvre générée par IA. Le Post-Pop n’est qu’une formule parmi d’autres, sans plus grand intérêt, suspecte intellectuellement et à oublier. À l’heure qui est la nôtre, celle de l’épuisement des ressources terrestres et de la nécessaire prise de conscience écologique, tout art qui exalte l’objet en nombre et la consommation reine est d’office, ou hors-jeu en termes de relation au présent, ou complice de la destruction du monde. Les formes d’art écologiques, aujourd’hui, sont les plus en phase avec le réel et son devenir. Elles s’opposent à bon droit à la culture de masse, à l’entertainment, mettent l’accent sur ce qui est important maintenant et, entre toutes les problématiques de notre présent, sur la question de la survie du vivant et, en celui-ci, de l’espèce humaine elle-même. Ces préoccupations mentales portent évidemment plus loin qu’une énième célébration des objets fétiches de la production ou que celle des formes de vie hédonistes et décérébrées.

Paul Ardenne

1956 Naissance dans le Poitou au sein d’une famille d’agriculteurs

1997 Art, l’âge contemporain. Une Histoire des arts plastiques à la fin du XXe siècle, essai

2018 Un Art écologique. Création plasticienne et anthropocène, essai

2024 : Parution de Redux. L’hypothèse gautronienne, un ouvrage consacré à une éco-communauté intentionnelle radicale de l’ouest français

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