Le couple Arp, un duo d’artistes à l’honneur à Bozar

Sophie Taeuber et Hans Arp à Arosa, 1918. © Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth SABAM Belgium 2024
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Têtes d’affiche de la rentrée de Bozar, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp ont opéré une vraie révolution artistique. La commissaire Walburga Krupp détaille en cinq points la rupture qu’ils incarnent.

1. S’inventer modernes

« Lorsque Hans/Jean Arp et Sophie Taeuber se rencontrent en 1915, ils sont tous deux déjà des artistes modernes. L’opposition d’Arp à la tradition a commencé bien avant l’apparition de Dada à Zurich. Dès ses études, il comprend que l’enseignement académique classique, tel qu’il est proposé à Weimar ou à Paris, repose sur une vision obsolète de l’art. Il se met alors à chercher une nouvelle modalité d’expression dans l’étude personnelle et en échangeant avec des artistes qui partagent les mêmes idées. Ainsi, en 1911, il est cofondateur du groupe Der Moderne Bund, dont les expositions sont entièrement consacrées à la modernité. C’est de cette façon qu’il est entré en contact avec Vassily Kandinsky, qui a exercé une influence importante sur son cheminement vers l’abstraction. Sophie Taeuber, quant à elle, a étudié à Munich à l’école Debschitz, l’une des institutions les plus avancées d’Allemagne à l’époque et créée dans l’esprit du mouvement réformateur. L’équivalence des arts appliqués et des arts libres était au programme, de même que la mixité entre hommes et femmes. C’est dire… Dès ses études, elle fait preuve d’une grande compétence dans la conception des couleurs, ce qui rend son travail si moderne. Après avoir terminé sa formation avec succès, elle s’est établie comme artiste textile à Zurich. »

© Fondazione Marguerite Arp, Locarno. SABAM Belgium 2024, photo: Carlo Reguzzi

2. S’inventer d’avant-garde

« Lors de l’exposition à la Galerie Tanner en 1915, Arp se présente comme un membre de l’avant-garde. Non seulement il y expose pour la première fois des œuvres abstraites, mais il choisit également le textile comme matériau pour ses œuvres les plus importantes, manifestant ainsi clairement une rupture avec la tradition de la peinture. Pour lui, c’est également une manière de supprimer les hiérarchies qui prévalaient à l’époque entre arts majeurs et mineurs. Il apporte également sa contribution au mouvement Dada qui naît peu après en apportant, outre des poèmes et des œuvres marquant une intensification plus organique de son abstraction, une série de dessins à l’encre, des gravures sur bois et des reliefs. Sophie Taeuber-Arp commence sa carrière d’artiste textile moins par l’invention de nouveaux formats que par son extraordinaire sens du chromatisme. Avec des nuances et des contrastes d’une richesse inhabituelle, elle attire l’attention du public et des collectionneurs. La trame de fond de sa pratique de la broderie la conduit, dès 1915, à une abstraction purement géométrique, faisant d’elle une pionnière. Ses marionnettes de 1918 témoignent de la même inventivité novatrice: des sculptures en bois composées d’éléments géométriques uniques, peints en couleur et reliés par des vis à anneau. Une révolution pour le théâtre de marionnettes. »

3. S’inventer égaux

« Lorsque Arp et Taeuber se rencontrent en 1915, ils sont au début de leur carrière. Dès le départ, ils partagent la même conception de l’art, à savoir qu’il n’y a pas de hiérarchie entre le haut et le bas, l’art appliqué et l’art libre. Il n’y a qu’une seule énergie créatrice qui s’incarne de différentes manières, que ce soit à travers la danse, le dessin, la broderie, la peinture, la poésie, la sculpture et bien d’autres choses encore. De ce fait, leurs deux pratiques sont variées. Ainsi, dès le début, le duo aborde la question de l’art sur un pied d’égalité et s’influence mutuellement. Taeuber, avec ses abstractions verticales-horizontales, initie Arp à une forme de géométrie, lui qui était auparavant plus « baroque », selon ses propres mots, ainsi qu’au travail sur bois. Pour sa part, il l’a amenée à la peinture. Ce duo se complétait parfaitement que ce soit dans le travail ou dans la vie. Et lorsqu’ils s’installent en France en 1929, ils travaillent en équipe, non sans succès. Ce qui les rend si particuliers par rapport à d’autres tandems d’artistes, c’est qu’ils n’ont pas seulement travaillé ensemble sur des projets comme l’aile droite du bâtiment de l’Aubette à Strasbourg. À la fin des années 1930, ils ont également créé des œuvres dites « duos », comme Sculpture conjugale (1937), dans laquelle il est impossible de dire qui a fait quoi. »

4. S’inventer polyvalents

« Ce qui fait la spécificité de ces deux artistes, c’est qu’ils ne se limitent pas à une seule discipline, ils sont littéralement multiples, et ce dès le début de leur carrière . Hans/Jean Arp commence par des poèmes et des dessins, tandis que Sophie Taeuber aborde la création à travers la broderie et le dessin. Au fil du temps, de nombreuses flèches envisagées avec le même sérieux s’ajoutent à leur arc: le design (livres, affiches, décoration intérieure et ameublement, costumes…), la peinture, la performance, la sculpture, le tissage et les gravures sur bois. Taeuber-Arp a même été éditrice, rédactrice et directrice financière d’une revue internationale d’art, Plastique, ayant paru de 1937 à 1939. Il n’est pas exagéré de dire qu’ils ont signé une œuvre libre. De plus, ils étaient membres de groupes d’artistes en France et en Suisse, et dans leur maison-atelier de Clamart – conçue par Taeuber-Arp- se rencontraient des artistes et des collectionneurs internationaux. Habiles à mettre en place des réseaux, ils ont aussi organisé des expositions en Suisse et en Norvège pour donner une visibilité à l’art abstrait. »

Sophie Taeuber-Arp, Sienne, maisons, animaux. © étienne Bréton / Saint-Honoré Art Consulting

5. S’inventer fluides

« Cette cellule aux multiples facettes doit se comprendre comme un modèle à suivre, que ce soit en tant qu’artistes ou en tant que couple: leur ouverture d’esprit, la diversité de leurs œuvres qui fait son miel de différents matériaux tout en congédiant les hiérarchies, leur soif d’expérimentation, leur intérêt pour l’artisanat ou les collaborations menées avec d’autres artistes. Tout cela en fait un duo d’une grande contemporanéité. Chez eux, les polarisations traditionnelles « mâle » et « femelle » s’estompent. Leurs contemporains ont vu dans l’abstraction géométrique de Taeuber-Arp une rationalité qu’ils voyaient comme masculine et, à l’inverse, dans les formes courbes de l’abstraction organique d’Arp, une sensibilité envisagée comme féminine. On peut dire qu’en tant que femme de son temps, Sophie Taeuber-Arp était soumise aux mêmes limites que toutes les autres femmes mais dans son art au moins, elle les a surmontées. »

Hans/Jean Arp & Sophie Taeuber-Arp. Friends, Lovers, Partners, Bozar, jusqu’au 19/01. www.bozar.be

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