L’Art de rien: une expo jubilatoire aux matériaux humbles à la Centrale
Paresse duchampienne et matériaux humbles, telles sont les mamelles de L’Art de rien, une jubilatoire proposition à la CENTRALE.
Dès l’entrée, pas question de se défiler. Stylo à la main, le plasticien franco-belge Alain Snyers confirme aux sceptiques que “rien, c’est déjà quelque chose”. Le performeur matérialise ce paradoxe, au cœur de la nouvelle exposition de la Centrale, en tendant une “Pétition pour rien”. En bonne et due forme, le document invite les visiteurs à contresigner pour “ne s’engager à rien”. Le ton est donné. Il est celui du “vide à travers les planches” et du “moindre geste” qui s’exhibent au travers des œuvres innombrables de 70 artistes faisant fi de cette spectacularité à laquelle l’art contemporain s’abreuve si souvent. Ici le “presque rien”, appelons-le comme ça pour déjouer la contradiction, est toujours prétexte à jeter un nouveau regard sur le monde. Pour le curateur François de Coninck, il n’est pas seulement question d’un programme poétique et esthétique. L’inframince relève également d’un choix éthique, celui de pratiques humbles cherchant à éviter d’encombrer le monde, dont, abondance de la proposition oblige, on n’a retenu que deux signatures.
S’en falloir de peu
Difficile de ne pas s’émerveiller devant le travail de Damien De Lepeleire. Prisé au nord du pays, ce Bruxellois affiche un parcours marqué par une méfiance vis-à-vis des largesses conditionnées du monde de l’art. L’homme a fait le choix de s’aventurer dans des cycles formels à chaque fois nouveaux -en 40 ans de carrière, il a entrepris une cinquantaine de séries. “À cause de cette position, il arrive que je ne puisse plus continuer à peindre en raison du prix élevé du matériel nécessaire. Je dois alors trouver d’autres manières de créer sans moyens.” C’est justement cette série de pièces de peu -notamment des canettes écrasées coulées dans le bronze dénommées Last Pogo– que la Centrale a choisi de montrer à l’occasion de L’Art de rien. Celle-ci s’appuie aussi sur le legs d’une collectionneuse: 30 années de catalogues édités par des maisons de ventes aux enchères prestigieuses. Cette manne permet à l’intéressé de découper, voire de “triturer”, des images pour en faire des sculptures, en les redressant, ou des toiles en contrecollant du carton au dos pour suggérer un châssis.
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Le tout restitue un peu de la physicalité perdue de l’œuvre originelle et permet au grand public de contempler enfin ces œuvres sortie du bien commun. Aguerrie au recyclage et marquée par Le Déjeuner en fourrure de la Suissesse Meret Oppenheim ou les sculptures de Dorothea Tanning, Élodie Antoine dévoie quant à elle le familier, un univers pouvant être compris par tous. On pense à Fauteuil fongique, une assise en velours vert sur laquelle sont cousus des champignons textiles; Zip thorax, un assemblage de fermetures Éclair évoquant une cage thoracique; ou encore Lipstick, un tube de rouge à lèvres croisé avec une mèche à béton semblant avoir “sous mon sein la grenade” pour sous-texte. La simplicité de cette métaphore à percussion recèle un travail manuel intense, fil rouge discret des œuvres de cette exposition délicieuse.
Exposition collective, à la CENTRALE, Bruxelles. Jusqu’au 17/03.
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